Ten – on va abréger – est sans doute la première et j’espère la seule composition de Nobuyuki Fukuto qui ne soit pas en mesure de m’enthousiasmer à l’aune de son seul premier chapitre. Il est d’autres, de ses mangas, qui m’ont franchement déçu, mais dont les prémices me furent tout de même suffisamment sympathiques pour me pousser à la lecture. Là, il n’y rien. Ni étincelle, ni même un bruit ; le silence dans une nuit noire.
Sont-ce les dessins ? Le style graphique de l’auteur, alors, était encore assez mal affirmé. Les dessins étaient clairement moins bien maîtrisés que dans ses autres œuvres. Le style était là, mais balbutiant, embryonnaire ; comme une fausse couche qui aurait rampé sur les planches. Il y a ça, mais il n’y a pas que ça. Il y a les personnages, à côté de la plaque pour la plupart. Quand on est habitué aux roublards et truands de Kaiji, aux personnalités sublimes qui vous feront vibrer le temps de Kurosawa, on ne se satisfait ni de Ten, ni d’Hiroyuki, nous apparaissant rapidement comme insincère pour le premier et effacé pour le second qui, ne nous voilons pas la face, est un narrateur officieux chargé de commenter « allusivement » le déroulé des parties pour ne pas perdre le lecteur.
Il y a sans doute aussi le Mahjong. J’ai eu beau apprendre les règles pour regarder Akagi (dont j’ai créé un compte sur SensCritique simplement pour faire étalage de ma déception le concernant), je ne m’y fais toujours pas. La passion pour ce jeu ne m’est jamais venue, d’autant que Fukumoto n’est jamais didactique – pas même un brin – pour un peu nous accoutumer.
Le manga est alors tout ce qu’on peut attendre d’une œuvre de Fukumoto portant sur le Mahjong, des parties très brèves au départ le temps d’asseoir les personnages principaux, puis interminables par la suite. « S’il fait si et que je fais ça... » et autres réflexions de ce genre parsèmeront le fil ténu d’un récit qui aura bien peu de consistance pour satisfaire son lectorat. Les jeux de Kaiji pouvaient, par ce qui y advenait, faire varier mon rythme cardiaque tant ils étaient bien mis en scène. Ici, les enjeux varient, mais les parties sont toutes les mêmes.
La seule valeur ajoutée de Ten ? L’unique élément susceptible d’attirer à lui un aficionado du père Fukumoto ? L’irruption d’Akagi. Celui-ci, vieilli d’une cinquantaine d’années, vient faire office de mentor puis se substituer clairement au personnage principal. Ten n’était là que pour lui chauffer le siège.
Ce retour d’un personnage majeur de ce qu’on pourrait appeler le « Panthéon » Fukumoto aurait pu ravir le lecteur que je suis à condition que cela fut une surprise. Dès le deuxième volume, Akagi est déjà quasiment installé comme un personnage principal. Faire de lui un antagoniste tardif ; pourquoi pas, aurait sans doute été plus idoine. Cela nous aurait en tout cas épargné de le voir ainsi.
J’abhorrais le jeune Akagi, présomptueux et invincible, mais je souffre encore moins ce papy gâteau mièvre et amorphe qu’il sera devenu. Harada fera par ailleurs office d’antagoniste plat et prévisible, n’occupant que trop longtemps la trame qui se sera toutefois enterrée toute seule avant qu’il puisse en devenir le fossoyeur.
Rien ne vous raccroche aux wagons de Ten. À moins que vous ne soyez un passionné de Mahjong – et encore – vous ne retrouverez que des prétextes à la déception et des resucées d’Akagi. On sent bien que l’auteur cherche à nous induire ce sens de la terreur propre au Mahjong clandestin joué entre Yakuzas et autres individus douteux, mais aucun des personnages en lice ne vous suggérera un quelconque sentiment, ils ne vous feront aucune impression particulière. On ne parvient ni à les aimer, ni à les haïr. Leur épaisseur de caractère se confond véritablement avec le papier sur lequel ils sont imprimés.
Ten est la suite et fin d’Akagi. La fin, car Akagi meurt. Une mort aussi longue à s’agencer que les parties de Mahjong où on babillera ici à l’envi sur des concepts creux pour donner une profondeur à ce dernier souffle qui n’en finit pas. Le sens du tragique est franchement relatif bien que, ce qui conduit Akagi à devoir mettre fin à ses jours – c’est-à-dire la peur d’une décrépitude induite par alzheimer – est assez terrible. Mal exploité cependant.
Ainsi, Ten se sera voulu le prétexte à la construction d’un mausolée pour un des personnages les plus notoires de la fabrique Fukumoto. Un chant du cygne entamé à voix basse et sans franchement de conviction. Ce qui fut un protagoniste de renom devînt un spécimen anecdotique enfoncé dans une œuvre qui lui fut adressée en guise de cercueil. Non, clairement, le problème de Ten ne tenait pas aux parties de Mahjong, mais au traitement de ses personnages et le déroulé d’une intrigue assez dérisoire.