Entomologie poussive
C’est le propre du cafard de survivre et de s’adapter. Quitte à devoir salir son environnement direct de par le seul vice qui consiste à exister. À Terra Formars, la même remarque peut être...
le 8 août 2024
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C’est le propre du cafard de survivre et de s’adapter. Quitte à devoir salir son environnement direct de par le seul vice qui consiste à exister. À Terra Formars, la même remarque peut être attribuée. D’autant plus facilement que la thématique y encourage. Ce serait injuste que de dire du manga qu’il est le seul, au regard de sa parution, à nous accabler de ce mal récurrent et bien ancré dans l’édition manga qui consiste à étirer encore et toujours la durée de vie d’un manga qui ne demande qu’à connaître son terme pour accéder à un repos bien mérité. Le procédé est d’autant plus fréquent dans le milieu du Shônen. Mais qu’est-ce que Terra Formars au juste si ce n’est un Shônen un peu plus violent que la moyenne ?
Sans être l’illustration parlante de ce procédé éditorial palliatif acharné, Terra Formars tombe en plein dedans, et plus tôt qu’on ne l’espère. Bien que le manga se soit pas achevé à l'époque de la rédaction de cette critique – c’est tout comme considérant avec quel entrain on se vautre dans un arc final aussi convenu le consternant – on peut d’ores et déjà clamer bien haut qu’il aurait pu durer moitié moins que ce qu’il a traîné.
À Yû Sasuga, chargé du script, on peut guère lui en vouloir. Un concept, il en tenait un bon. De là, l’exploiter sans vergogne jusqu’à lui cramer la dernière cellule, jusqu’à lui faire cracher le dernier atome d’existence, c’est tentant. C’est que ces gens-là sont comme qui dirait payés à la durée d’exploitation de l’œuvre. Des tomes, plus on en a à vendre, et plus il faut en pondre. Des mangakas, il y en a quand même qui ont de la vergogne. Certains qui étendent leur ouvrage du fait qu’ils ont effectivement des choses nouvelles à nous apporter, d’autres savent s’arrêter à temps. On s’accordera à dire cependant – et à contrecœur – que ça ne représente pas le gros de la profession. Leur gagne pain, les auteurs, ils s’y attachent comme une moule à un rocher. Leur en vouloir, je le peux en tant que lecteur – notez que je m’en prive pas – néanmoins, je comprends. Sans approuver ni réprouver ; je comprends. Percer dans le milieu du manga, ça se fait pas sur décret. Quand, enfin, on se voit consacré, on a comme envie de prolonger l’état de grâce histoire de profiter tant que ça dure. Un succès éditorial, ça peut advenir entre deux traversées du désert ; alors on se gave d’ici à la prochaine.
C’est un bien beau portrait que j’ai fait d’eux à ces messieurs Yû Sasuga et son compère aux dessins qu’est Kenichi Tachibana. Non, assurément, ils sont loin d’être emblématiques de ces auteurs qui étendent de trop leur série sans avoir davantage à nous dire. Il n’empêche que quand on connaît la ritournelle à force de s’y échauder, ça se sent.
Terra Formars est un manga qui s’essaye à la science-fiction sans prétention, sans trop d’audace mais sans outrance. L’univers qu’on nous rapporte au vingt-sixième siècle, il ressemble furieusement au nôtre. À croire que l’humanité se sera occupée à rester le cul vissé sur ses acquis le temps d’un demi-millénaire. La seule innovation, elle est d’ordre technique. Voyage jusqu’à Mars, manipulation du génome ; pis c’est tout. Pousser le vice jusqu’à dire de l’auteur qu’il a été un brin fainéant, c’est peut-être aller vite en besogne ; le fait est qu’il n’a rien développé excepté ce qui se rapporte à la chasse aux cafards. Le nez appuyé contre sa thématique, il occulte tout ce qui entoure cette dernière. Le concept est là, le contexte, beaucoup moins.
Bien sûr, il faudra bien appuyer la nécessité de la conquête de Mars. Voilà qu’arrivent les habituels truismes écologistes. Très pertinents, j’en conviens… mais répétés inlassablement depuis des décennies comme un mantra ronflant. Raréfaction des ressources naturelles, surpopulation, tout le tintouin… allez, objectif Mars. Voilà pour le prologue. Non, voilà pour le scénario. Parce que toute cette histoire ne tient qu’à ça. Dans les méandres du script, tout y renvoie en continu sans s’autoriser quelques explorations scénaristiques. Y’a qu’un filon à miner ici, et l’auteur s’y esquintera la pioche durant bien longtemps. Son acharnement sera même tellement remarqué qu’on ira jusqu’à adapter l’œuvre en film. Seulement voilà… transposer à l’écran, c’est tuer tout ce qui peut vaguement faire l’intérêt du manga. La supercherie fut ainsi dévoilée par la cinéma. Parce qu’une fois condensé en cent minutes, le lecteur a une meilleure vue portée sur le paysage. « Ah mais au fond, Terra Formars, ça n’est que ça. » qu’il se dira.
Effectivement. Une fois qu’on purge l’œuvre de ses nombreuses répétitions, de ses effets de manche scénographiques recyclés en boucle et de ses bavardages énoncés comme des préliminaires avant d’éternels et lassants séjours de castagne, il en reste pas grand-chose.
Le concept initial est simple ; pour rendre l’atmosphère de Mars viable, on a y a envoyé des cafards, parce que la science tout ça. Mais ces saloperies ont évolué pour devenir des menaces majeures du fait de caractéristiques humanoïdes prononcées. Le projet est comme qui dirait compromis, et ça fait naître une menace planante. On tient le concept, et il est bon. C’est très simple, mais ça n’a pas besoin d’être élaboré à outrance pour avoir du goût. D’autant qu’on relève les saveurs avec ce qui se rapporte à la manipulation du génome. Face au cafard, les forces en présence sont des êtres humains à qui on a injecté de l’ADN d’un insecte en particulier. Et c’est ça, in fine, qui a fait l’intérêt de Terra Formars.
Chaque pouvoir – parce que c’est de ça dont il est question – est inspiré de caractéristiques qu’on retrouve chez certaines insectes. L’auteur, il a dû se pencher tout spécialement sur la documentation entomologique pour donner lieu à quelques propriétés bien sympathiques à ses personnages. Les pouvoirs sont justifiés, ils sont variés, justement contrebalancés par leurs limites et la puissance des adversaires, j’ai pas à renâcler, c’est du bon. Pendant un temps ; car toutes les bonnes choses ont une fin, surtout lorsqu’on ne sait pas les renouveler.
Parce que passés les dix premiers pouvoirs, ceux qui suivent ne nous surprennent plus tellement. L’inspiration, on la voit se tarir à vue d’œil. Et c’est là qu’on remarque que le manga n’est plus fait que de ça et de causeries stériles pour aménager le vide entre deux confrontations avec les cafards. Ce qui était un concept intéressant, pour peu qu’on n’en abuse pas, tient apparemment de l’esbroufe dès lors où on en abuse excessivement.
Terra Formars, ça aurait pu durer moitié moins et même, se borner au quart de son aventure. Et ça aurait dû. Car tout cela traîne au milieu du fatras des corps qui se font déchiqueter.
Des morts, il y en aura beaucoup parmi les protagonistes. Audacieux ? Non. Quand un Battle Royale développe ses personnages pour ensuite nous les arracher dans un déchirement palpable, les personnages ici ont à peine le temps d’être dessinés et de mettre leur pouvoir en exergue qu’ils en crèvent. Leur nom, rien que leur nom, j’ai pas encore fini de le mâcher – et encore moins de le digérer – qu’ils sont déjà ad pater. Y’a pas une mort qui soit émouvante au beau milieu du génocide. Là encore, c’est une belle occasion qui aura été très vilainement manquée par l’auteur. D’autant que l’effort porté dans l’écriture des protagonistes qui auront la plus longue espérance de vie n’est pas phénoménal. Ils peuvent bien crever tous ces gens-là… on s’en fout. Aucun appel possible : rien à carrer.
Starship Troopers est une source d’inspiration criante quand on ouvre les premiers volumes. Sans bien sûr la pertinence du propos. Quand Yû Sasuga a regardé le film, il n’en a retenu que les gros insectes. Toutefois, la réelle parenté qu’on puisse lui établir à Terra Formars, c’est vis à vis de sa postérité. Je ne sais trop s’il a puisé aux même sources ou s’il a été une source d’inspiration graphiquement parlant, mais les lecteurs de All You Need is Kill ne pourront pas ne pas voir la proximité. Les combinaisons, même le dessin de Tachibana qui tend vers le style de Takeshi Obata, on retrouve tout ça ici. À la différence près que All You Need is Kill savait d’où il partait pour mieux déterminer où atterrir. Il a su finir à temps car il savait où il allait.
Nul n’est prophète dans son pays, mais si j’ai pu deviner la fin de L’Attaque des Titans du fait que les trames scénaristiques, d’un mangaka à un autre, passent de main en main sans même qu’on édite une ligne, je peux assurer qu’entre le point de départ et celui d’arrivée, Terra Formars, plutôt que de tracer une ligne droite, aura préféré faire une multitude de zigzags et de loopings pour finalement le même résultat. Un résultat qui se conclura sur une résolution heureuse succédant à un cataclysme global, car ce sont des choses qui se font apparemment.
De ce manga, qu’on lise le premier volume et qu’on s’en tienne à ça. Ce qui suit n’est que répétitions et circonvolutions bruyantes pour repousser une échéance qui se sera tant fait attendre qu’on ne l’espère même plus.
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le 8 août 2024
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