Conclure, c’est aussi savoir s’arrêter. Devoir s’arrêter, parfois. La course était belle, le moteur rutilant mais, s’il vous prend de le redémarrer quelque temps après qu’il ait tout donné, il pourrait bien tousser au point de se noyer. Katsuhisa Minami a voulu rempiler. On sait pourquoi ; parce qu’un succès éditorial, pour un mangaka, c’est une valeur sûre. C’est un risque de s’essayer à un autre registre, celui de ne pas rencontrer son public. Alors, plutôt que de se hasarder à prospecter sans que l’or ne vienne on exploite le filon qu’on connaît, en faisant mine de pas trop comprendre que celui-ci s’était tari depuis long.
Faut savoir mourir à temps pour rester héroïque. Les idoles de jeunesse, quand elles vieillissent, pourrissent sur place. Qui est mort a temps, dans le cœur de ses laudateurs, restera immaculé à jamais. On se plaît à dire que telle ou telle personnalité – souvent des acteurs – étaient des hommes entiers qui auraient vomi l’époque qui leur a succédé. Seulement, à l’époque, pour continuer à y vivre confortablement, ils lui auraient embrassé la gueule même si l’haleine leur était putride aux naseaux. À The Fable, fallait lui laisser son heure de gloire le temps de dire ce qu’elle avait à dire. Continuer à lui faire tenir le crachoir, maintenant que l’œuvre avait la gueule sèche, c’était s’assurer qu’elle nous parle inconséquemment afin de broder.
Ah ça pour avoir brodé… l’auteur nous a fait de quoi tresser un tapis persan. Il a tout repris ; puis il n’a rien ajouté. La recette est géniale. Surtout qu’en route, il a perdu la spontanéité de son contexte d’alors dont il a déjà tout exploré quant à ses possibilités. On l’entend gratter au moindre chapitre ; occupé qu’il est à vouloir glaner désespérément la moindre bride de nouveauté. Seulement voilà, il s’est perdu, lancé qu’il était à ne plus quoi savoir dire.
Qu’on se le dise, et franchement ; si Katsuhisa Minami s’était senti de poursuivre son œuvre… il ne l’aurait pas arrêtée en premier lieu. Puisse la tautologie m’être pardonnée, mais c’est chose vraie que ce que vous dis là. On les sent ces œuvres reprises pour le fric ; faut dire que les relents nous mettent vite la nausée. Les auteurs, ils les gagnent leurs sous, mais le respect de leurs lecteurs, de ceux qui ont su apprécier ce qu’il y avait de bon et de beau dans leur plume ; ils les ont perdu à jamais. Ils ont choisi leur camp en se résignant à ne plus être les auteurs que d’un succès.
C’est devenu un manga de justicier. C’est Inu Yakishi. Même le dessin s’y tend à tort. Je me suis parfois marré – quoi que les dents serrés – en observant des strabismes involontaires placardés parfois dans les yeux des personnages. Sans compter les éventuelles paginations où on ne comprend que bien peu de choses à ce qui nous parvient. Notamment lors de la scène de rencontre en bagnole entre les deux camps où un des jeunes est livré à Ebihara. Les graphismes, relativement fidèles à ce qu’ils étaient alors, on tout de même méchamment perdu de leur charme. En outre, les personnages présentés, aussi bien les nouveaux antagonistes que les anciens protagonistes, trouvent le moyens de ne plus rien nous évoquer. Qui plus est, le parti pris de l’auteur à plonger son intrigue dans le contexte de la farce sanitaire, avec le masque sur le groin, m’intime d’instinct à me détourner de pareille foutaise. Sans compter le laïus anti « complotiste » glissé subtilement à travers le personnage de Gen qui, parce que marginal, sale et brouillon, refuse le vaccin. Attaque subtile s’il en est.
Yuukari et Azami, maintenant campés parmi les personnages principaux, sont autrement moins appréciables dans leur nouveau rôle, d’autant qu’on leur a taillé la part belle dans l’œuvre. Un revirement d’antagoniste, ça n’est pas toujours souhaitable. Pas à moins de réellement savoir quoi en faire. Eux n’auront été que les auxiliaires de Satou n’existant qu’assez peu par eux-mêmes. Je ne pense pas prendre énormément de risque en prophétisant au doigt mouillé que l’un d’eux, sinon les deux, serviront d’agneaux sacrificiel pour mieux affermir le potentiel de menace que représente « Rumour ».
Ils ne l'ont été qu'à demi, finalement. Ce qui était encore plus décevant.
Ils n’ont par ailleurs rien de crédibles ces antagonistes qui nous parviennent à présent. Ils se rapprochent tous de clichés davantage que de criminels ou assassins, fussent-ils supposés réalistes ou fantasques. Je retrouve vraiment la formule GTO de la déchéance avec des adversaires n’étant plus dans les suites que les pâles caricatures de ce qu’ils furent dans l’œuvre originale. Le schéma de la décadence observé entre les deux œuvres paraît si analogue qu’on jurerait qu’il répond à la même courbe logarithmique.
Y’a quelques occasionnelles séquences d’humour qui, souvent, font mouche. (Les sardines avariées, les requêtes professionnelles de Yuukari et Azami, les frasques de vie maritale de Satou et Misaki, etc) Mais pas non plus de quoi nous détourner des manœuvres narratives petit-bras dont est fait cette suite dispensable.
La romance entre Tako et Youko tombe peut-être à propos. Là, sera sans doute la seule valeur ajoutée de l’ouvrage. Elle qui retrouvait en lui l’image d’un père qu’elle avait perdu et dont les sentiments contraires l’entraîne à ne trop savoir comment l’aborder ; il y avait effectivement matière à exploiter et ce fut fait conséquemment. C’est un couple potentiel pour le moins intéressant dont j’avais espéré qu’il s’élabora un jour. Ce sera d’ailleurs la seule chose éventuellement digne d’intérêt tout du long du Second Contact. Le reste étant un quasi-concentré de City Hunter sous Prozac.
Un autre pan d’intrigue dont on eut apprécié qu’il fut lui aussi exploité – excepté peut-être une rencontre avec Jackal – tenait à l’entraînement de Kuro-chan qui, parce qu’il vénérait Satou, chercha à l’égaler. On se douta pertinemment, en tant que lecteur averti, qu’il n’y parviendrait évidemment pas. Toutefois, on se plaisait à espérer – car le personnage, comme les autres, attirait la sympathie – qu’il puisse se montrer un jour utile en situation de crise. Ce à quoi il avait échoué tout du long des événements de The Fable. Sa suite laisse entendre que l’hypothèse serait ici permise.
Voilà à quoi tiendront les espérances de Second Contact aux yeux de qui aura lu l’œuvre précédente. C’est bien maigre. On mâchouillera quand même à défaut de mieux ; à défaut de bien.
Après tout ce par quoi les personnages sont passés durant les événements du manga original… aucune menace susceptible de s’ensuivre ne risque d’être prise au sérieux. Soit celle-ci sera ridiculement dangereux pour entrer dans la surenchère, soit les forces en présence – et je pense au Kujira notamment – n’ont pas l’envergure pour représenter un quelconque danger. Ce qui fut alors le cas. L’entrée en scène de « Rumour », entreprise concurrente de « Fable », dont nous n’avions jamais entendu ne serait-ce qu’une bribe d’information par le passé, survient alors du fait de la nécessité de vous fournir en cheptel d’antagonistes. Leur introduction n’était pas maladroite, mais clairement fainéante. J’aurais, je crois, été plus à l’aise si on avait fait intervenir un extra-terrestre pour rehausser les enjeux.
D’autant que beaucoup de tactiques d’assassinat n’ont aucun sens. Notamment avec les deux demoiselles contre Yuukari. À deux, il y avait moyen d’en garder une en embuscade tandis que l’autre servait d’appât pour plus facilement le prendre à revers. Et le coup du « Un homme cherchera toujours à rattraper une femme qui tombe, c’est dans son ADN »… non. Une nana me braque et tombe après avoir été touchée par quelqu’un d’autre… son crâne heurtera le sol très violemment, soyez-en certains. Et pourtant, j’écris ça sans avoir d’expérience en matière d’assassinat. Juré.
Le personnage de Matusdai – notamment dans la scène du camping car – renoue très clairement avec Ichi the Killer, source auprès de laquelle l’auteur s’est abondamment approvisionné. C’était en tout cas assez patent pour apparaître parfois impersonnel. Nous avions eu assez d’un ersatz de Masao avec l’antagoniste de l’arc final ; celui-ci est de trop. Et pour une séquence éminemment racoleuse qui plus est.
Takaichi aussi est un cheveu sur la soupe, tombé de nulle part comme pour les précédents vice-présidents de la famille. Beaucoup trop de protagonistes sont introduits tardivement pour tomber à point nommé.
The Fable, t’as tout donné, le réservoir est quasiment à sec ; pourquoi Diable t’obstines-tu à vouloir t’engager sur l’autoroute ? La panne sèche guette, on en fera même les frais à la lecture. Ta place est au garage. T’as eu ton temps ; tous l’ont eu. Ils ont commencé, eu leur gloire pour peu qu’ils furent heureux dans leurs entreprises… puis se sont arrêtés. C’est dans l’ordre des choses.
Mais il a fallu miser sur la facilité, quitte à avorter sur le tard une œuvre qu’on avait connue bien née et vivace.
J’exagère très franchement en présentant Second Contact comme un absolu désastre. Mais, même si bon nombre des lecteurs assidus de Fable trouveront de quoi peut-être se satisfaire de la composition, on y retrouve tout un amas de petites choses qui, agglomérées, s’acceptent comme un poil à gratter qui vous démange constamment. On a retiré peu à l’œuvre en élaborant sa suite. Mais un chromosome ou un court morceau de séquence ADN, pour insignifiant qu’il soit à l’œil nu, change tout dans un organisme dès lors où on l’ampute. Tel est mon sentiment à la lecture de Second Contact et ce, bien qu’il me soit arrivé – plus souvent que je ne me plairais à l’admettre – à apprécier ce que j’ai lu. Mais pas assez. Pas suffisamment, considérant le matériau d’origine.
La suite trouve sa place, mais en jouant des coudes avec la suspension de crédulité du lecteur. Rumour nous tombe du ciel comme un astéroïde à travers l’atmosphère terrestre ; son arrivée est malvenue et, comme tous les éléments d’intrigue en place découlent précisément de sa seule présence, un sentiment de frustration s’empare de nous à les savoir ici. Ils sont en trop, ils tombent mal et creusent le cratère du Second Impactdans lequel on trébuche en allant y voir de plus près. Au fond, The Fable ; Second Contact aurait pu, dans l’idée générale, être un arc intermédiaire de l’histoire originale. Un creux venu précéder une bosse sur la courbe de la qualité. C’était The Fable, ça ne s’est pas renié fondamentalement, mais ça n’a pas pris la peine d’exister pour de bonnes raisons. Il y a l’écriture, on retrouve les personnages, mais l’élan créatif y est indéniablement plus timide et mijaurée.
…
Je pinaille.
C’est pas si mauvais que ça et on se sent intrigué à un moment donné – il faut attendre d’avoir une cinquantaine de chapitres dans la musette tout de même. Les aficionados finiront par y trouver leur compte ; ils auront leur dose. Il m’a simplement fallu du temps pour que ça se dilue dans le sang. Second Contact est une suite dans laquelle il est malaisé de s’y jeter et d’y barboter jusqu’à ce qu’on se soit enfin habitué à la température ambiante. Disons que de cette œuvre-ci, il faut sincèrement en vouloir pour qu’elle vous saisisse enfin. À vous de savoir si vous aurez la patience.
Avec le recul de mes lectures, car il a fallu que je revienne à cette lecture-ci lorsqu’elle trouva son terme, je puis à présent attester que le sens de l’action qui s’y opère a tout à voir avec le Under Ninja de Kengo Hanazawa. Ces poses statiques, sans effets ou presque pour enchaîner les coups en leur autant délibérément tout oripeau spectaculaire pour en faire une démonstration méthodique ; c’est un style à part entière.
Rétrospectivement, The Second Contact se sera avéré être un arc narratif mineur de The Fable, un arc puisé d’un chouette Seinen néanmoins. Mineur toutefois. J’en suis pas à parler d’un arc de remplissage comme il s’en faisait du temps où les studios animés brodaient quand ils avaient rattrapé la parution originale de ce qu’ils adaptaient… mais y’a moins de corps que l’original. Le nier, c’est être dans le déni.
Voyez plutôt ; une flopée de protagonistes nouvellement introduits n’auront servi à rien, Kuro a même été relégué au dernier rang, comme un terrien grand-remplacé par les Saiyens un lendemain de Freezer. La lecture de The Second Contact accomplie, on ne sait trop si on doit modérément s’en réjouir ou vaguement s’en courroucer. Y’a pas matière à déplorer ce qu’on lit, pas plus qu’il n’y en a eu à franchement se réjouir. Les aficionados se présenteront à l’œuvre les genoux à terre et les bras tendus – et c’est tant mieux pour eux – les autres accueilleront cette suite un peu plus mitigés, sans franchement savoir quoi en conclure.
En parlant de conclusion… celle de l’œuvre qui nous concerne ne noue rien si ce n’est la corde autour du coup d’une pléthore de personnages à usage unique. Tous les antagonistes, l’intrigue révolue, se suicident littéralement. On ignore ce qu’il en sera des déboires amoureux de Yôko, Yuukari et Azami se séparent sans que ça n’ait réellement d’incidence et on appellera ça une fin. C’est pas une suite qui déçoit qu’on a lu là, mais une qui vous laisse sur votre faim sans avoir apparemment la moindre intention de retourner aux cuisines dans un avenir proche.