Sorti en 1994, le film The Mask réalisé par Chuck Russell fut à son époque un grand succès commercial et reste aujourd'hui un classique indémodable de la comédie fantastique. C'est aussi probablement le film le plus célèbre de sa vedette, l'humoriste Jim Carrey, lequel accéda grâce à cette bande virtuose à une renommée mondiale.
On en oublie pourtant que The Mask est à l'origine une adaptation du comic éponyme, créé par les scénaristes Mike Richardson et John Arcudi et le dessinateur Doug Manhke. Un comic qui devint au tout début des années 90 un des titres les plus connus des éditions défuntes Dark Horse Comics (par ailleurs créées par Mike Richardson) mais qui n'en resta pas moins totalement méconnu par chez nous. La faute à des éditeurs français entièrement tournés vers des titres-phares de chez DC et Marvel et qui ne se sont jamais vraiment intéressé à cette histoire furieuse et délirante, tant elle s'éloignait radicalement des canons du genre super-héroïque et de l'aspect tout public de son adaptation cinématographique. Pis, la renommée du film fut telle qu'elle modifia totalement la conception du personnage et détermina les adaptations qui suivirent. Le film eut ainsi droit à une série animée dans le même esprit, un navet stratosphérique comme suite et un comics adapté du film (The Adventures of The Mask), très différent de ce que fut le tout premier comics mettant en vedette le personnage.
Publié pour la première fois en 1989 dans les pages du magazine américain Mayhew, The Mask (Who's laughin now ?) met tout d'abord en scène le dénommé Stanley Ipkiss, un citoyen lambda et sans histoires, légèrement loser sur les bords, un rien frustré par son incapacité à réagir face à la violence qui gangrène sa ville et dont il est parfois victime. Le jour de l'anniversaire de sa petite amie, Stanley lui offre un masque tribal en bois d'origine inconnu, acheté pour une bouchée de pain dans un bazar miteux du centre-ville. De quoi réjouir la jeune femme qui se passionne pour les reliques de toutes sortes. Un soir, Stanley a l'idée puérile de mettre le masque pour surprendre sa fiancée dans son sommeil. Et c'est bien entendu à ce moment-là que survient la métamorphose. Devenu une créature délirante au crâne vert et au sourire carnassier, Stanley se découvre des pouvoirs défiant l'imagination. Désormais surpuissant, invincible, et terriblement drôle, Stanley se promet de se servir du masque pour faire régner la justice dans une ville qui en a terriblement besoin. Las, il commence tout d'abord par se venger cruellement de tous ceux qui lui ont jusque-là mené la vie dure et met rapidement la ville à feu et à sang. Désormais baptisé par la presse The Big-Head Killer, Stanley devient un tueur de masse sans morale et à la blague facile, massacrant au hasard coupables et innocents, et incapable de se passer de la source de ses pouvoirs...
Vous l'aurez compris, tout en posant les bases de ce qui deviendra le film, le comics original The Mask s'en éloigne beaucoup par sa violence exacerbée et un ton radicalement plus glauque et dramatique. Au carrefour des influences de Frank Miller (pour sa ville vérolée par le crime et la corruption), Pat Mills (pour l'aspect ésotérique et horrifique) et John Wagner (pour ses débordements gores et humoristiques), The Mask est un comic sans véritable équivalent tant dans son concept que dans le traitement de ses intrigues. Les arcs The Mask Origins, The Mask Returns, Strikes back et The Hunt for green october alignent ainsi une succession de protagonistes dont le masque va bouleverser la destinée. Stanley Ipkiss a beau être le héros du film, il n'est ici qu'un des nombreux personnages qui tombent en possession de la précieuse relique, certains étant d'ailleurs étonnamment sacrifiés au détour d'une case dès lors qu'ils tombent le masque. Et cela demeure une des meilleures idées du comics : faire du Mask un personnage à part entière (l'aspect du personnage ne change jamais malgré ses différentes incarnations) dont le comportement imprévisible et les inclinaisons meurtrières seront déterminées par les frustrations de ceux qui le portent. Provoquant un syndrome d'addiction chez ceux-ci, le Mask passe ainsi du tueur de masse au caïd de la pègre, en passant par le vigilante extrême, l'époux endeuillé et l'ado rebelle, tous ayant chacun à leur tour leur importance dans le déroulement de l'intrigue. Ces quatre premiers arcs sont liés entre eux, non seulement par le fameux masque mais également par l'intervention du lieutenant Kellaway, flic pugnace et désabusé (très loin de ce qu'est le personnage dans le film), déterminé à détruire le masque par tous les moyens. A ces nombreux protagonistes s'ajoute un bad guy récurrent dénommé Walter, sorte de colosse balafré, mutique et marmoréen, déterminé à mettre la main sur l'objet de toutes les convoitises.
Les moments forts des comics sont évidemment ceux où le personnage-titre apparaît. Ils sont l'occasion pour les auteurs de laisser libre court à leur imagination, brisant la noirceur d'un récit impitoyable par des gags tous plus insensés les uns que les autres. Beaucoup se retrouveront d'ailleurs dans le film de Chuck Russell, la violence en moins. Pour vous faire une idée, le gag des ballons et de la sulfateuse ("Approchez, approchez !") se retrouve également dans le comics, la seule différence étant dans sa chute particulièrement sanglante sur le papier. De même pour le duo de mécanos dont le sort dans le comic est peu reluisant. Increvable et particulièrement vicieux, le personnage s'amuse souvent de ses blessures (parfois horribles) et brise volontiers le quatrième mur, ce qui en fait probablement une des principales inspirations des créateurs de Deadpool (avec une décennie d'avance).
Les dessins de Doug Manhke peuvent paraître un peu datés au début du comics et vont rapidement en s'améliorant au fur et à mesure des publications. Reste que l'illustrateur sait retranscrire à merveille la dichotomie dramatique du scénario et ne rate jamais un dessin lorsqu'il s'agit de magnifier son anti-héros. Les illustrations de The Mask strikes back et de The hunt for Green October sont plus travaillées et s'inscrivent parfaitement dans la continuité des travaux de John Romita, Greg Capullo ou encore Sam Kieth, la candeur et le surréalisme de certains dessins y cotoyant la rugosité de personnages très milleriens aux aspects taillés à la serpe. Le faciès grimaçant du personnage, lorsque celui-ci tend à provoquer le rire, m'évoque quant à lui certains visages surexpressifs du Great Teacher Onizuka. Qui a ri devant les poses idiotes du héros de Toru Fujisawa, rira certainement devant celles de l'affreux Big-Head.
Totalement occulté par le succès du film, le comic The Mask se transforma très vite en bande-dessinée pour enfant, inoffensive et quelque peu ridicule. Il y eut bien quelques cross-overs particulièrement gratinés à la fin des 90's, des récits opposant le Mask à Lobo, à Marshall Law ou au Joker et même un spin-off consacré au terrible Walter. Reste que les parutions dédiées au Big-Head Killer s'arrêtèrent à l'aube des années 2000, pour ne jamais être revisitées ni même ré-éditées. Etrange (et vraiment dommage) qu'un tel personnage-concept n'ait pas donné lieu à plus d'histoires et d'audace. Notre époque croulant sous un déferlement de super-héros, il serait certainement bienvenu qu'un personnage plus modeste tombe au détour d'une case sur un étrange masque vert.