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Je ne sais pas où je vais, j’y vais, et où que je me dirige, j’y vais sereinement. À tort, néanmoins.

La qualité d’un manga, à l’exception près de très rares titres dont aucun exemple ne me vient à l’esprit si ce n’est peut-être celui-ci, se devine à la seule aune de son premier chapitre. L’inauguration de quelque série que ce soit, impose aux auteurs de tout donner à la première salve. Le modèle éditorial veut ça ; je ne saurais dire si c’est un mal pour un bien. Le fait est que lorsqu’un auteur digne d’être qualifié comme tel, donne tout ; il ne nous délivre alors pas qu’un fatras d’encre et de papier.


Au trait ; à la finesse non pas du crayon mais de la présentation qui en était faite, je devinais la griffe d’une femme. Ces dames, quand elles se plaisent à aller au-delà de l’œstrogène, apportent aux compositions manga une réelle singularité qui repère à l’œil, si ce n’est à l’âme. Naît alors d’une plume rigoureuse quelque chose de propre et de léger, là où bon nombre de péronnelles à crayon font dans le propret et le désinvolte. Une femme qui sait tenir ses crayons bien en main, avec ce qu’il faut d’ordre dans l’esprit pour apporter une réelle contenance à sa création, trouve aisément le moyen d’être chère à mon cœur. De Dorohedoro à Bride Stories en bifurquant par Gloutons et Dragons ; y’a, dans certains grands titres, une patte féminine qui vous laisse au cœur une empreinte indélébile.


Et pourtant, la dame Yoshitoki Ôima, je l’avais savamment étrillée par des temps passés. J’apprends – parce que je découvre toujours a posteriori pour justement n’avoir aucun a priori – qu’elle nous a dessiné et écrit A Silent Voice. Là, je l’avais vu venir le tire-larme, les fausses pudeurs ; les manières. C’était bien écrit, mais ça n’écrivait rien ; rien qui ne valut qu’on fasse seulement semblant d’y croire.

Elle se rattrape.


To Your Eternity, donc. Parce qu’on ne peut visiblement pas traduire « Fumetsu no anata e »  en français, que le sabir yankee est notre seul horizon. La remarque valait déjà du temps de A Silent Voice qu’on ne se sera là non plus pas fait chier à traduire en français bien que le titre était là encore japonais.


Le rendu est éthéré. Il faut dire que les paysages neigeux dans les mangas en noir et blanc, c’est encore un bon moyen d’économiser l’encre. Il n’empêche que le dessin est élaboré. Doucereux un brin, mielleux jamais, il sait autant apaiser que vous faire frémir dès lors où il est question du bon usage de la mise en scène. Le plan où Johann s’exprime pour la première fois en mangeant, alors qu’il copie son maître, glace franchement le sang de qui se surprend à le découvrir. L’auteur n’a pas juste le tracé pour elle, elle a dans la tête, tout ce qu’il faut d’idées pour agencer graphiquement son récit de sorte à réellement nous suggérer quelque chose. Son ressenti, elle nous le transmet à la sensation près. C’est la marque d’un maître.


Une marque qui ne m’est cependant pas étrangère. Ce semblant d’horreur latente flottant sur un récif de tendresse enfouie quoi que perceptible, ça a eu tôt fait de me rappeler l’Enfant et le Maudit dont le titre, lui, a été traduit en français. C’est juste une incise acide en passant.

Le silence, l’innocence, mais l’ombre qui plane et jamais trop n’ondule, que tout soit ainsi dosé minutieusement pour un rendu impactant, on retrouve de ça dans les deux œuvres. Qui a aimé To Your Eternity n’aura aucun mal à se satisfaire de l’Enfant et le Maudit, j’en fais le serment.


J’appris, le temps de la rédaction de cette critique, qu’il existait une adaptation animée du présent manga. J’en ai glané des extraits et, de ces bribes d’animation seulement, je peux vous assurer qu’il est préférable de faire l’impasse. Malgré l’implication des animateurs, on est à mille lieues de l’atmosphère qui se dégage des dessins de Yoshitoki Ôima. C’en est même si éloigné que la démarche confine à la trahison. Vous n’aurez pas connu To Your Eternity à moins de l’avoir lu au format manga.


L’innocence exubérante, même si un chouïa modérée, de ce qui nous fait office de protagoniste, est un poil innervant. Ce sourire niais et perpétuel en dépit d’une adversité assez pesante a tôt fait de nous apparaître faux. J’ai haussé un sourcil lorsqu’au début de son péril, il tomba dans une mer glacée – sur la banquise, je précise – pour en ressortir vaguement enrhumé, sans même que l’hypothèse de l’hypothermie ne soit ne serait-ce qu’allusivement soufflée. Golden Kamuy a quelques leçons de réalisme à transmettre dans ce domaine.


C’est en tout cas un premier chapitre franchement engageant qu’on lira là. Un dont je n’oserais même dévoiler le contenu afin de ne pas vous le gâcher. Elles sont rares, ces œuvres qui m’intiment au secret. Elles se confondent avec celles dont le contenu est original et mérite une lecture perpétré d’un œil neuf.


En revanche, je ne croyais pas si bien dire en assurant que l’auteur avait tout donné à compter du premier chapitre. Dès le deuxième, le dessin se relâche, du moins pour illustrer ceux qui ne sont pas le protagoniste. Fallait marquer le coup, elle se sera appliquée plus que de rigueur pour capter le regard et l’intérêt et, une fois le lecteur ferré, elle lui aura donné du mou ce qu’il fallait de temps d’ici à ce qu’elle ne l’attrapa dans ses filets. À moins qu’il ne s’échappa à force de s’agiter.


Car je me suis rapidement agité. Au tragique liminaire, ce qui suit apparaît presque comme une parodie de manga cliché. Un village où on sacrifie les enfants au dieu ours, ça, ça me fait titiller quant à la qualité du récit. C’est du drame forcé et artificiel ; on en revient au tire-larme que je dénonçais du temps de A Silent Voice.

Bordel, elle était à ça de conserver mon estime intacte et immaculée.


March sera insupportable de niaiserie. Je déteste lorsqu’on exagère le tempérament juvénile des jeunes enfants pour les rendre attachants. C’est malhonnête dans le procédé. Autant que le déballage de grands sourires, d’airs innocents et purs étalés impudiquement sur les planches, pour nous traduire une douceur de vivre qui, sans mal aucun, ne tardera pas à nous apparaître spécieuse.


Ce qui, dans son premier chapitre, préludait des accents lyriques, n’est finalement plus qu’une histoire faussement naïve dont le protagoniste, doté d’un ressort surnaturel, sert de clé à toutes les serrures qui s’enchaîneront sur leur parcours. En un sens, et sans trop avoir à travestir ce que je lis, ce n’est ni plus ni moins que l’épopée de Kenshiro que nous lisons ici. Les tripes y virevoltent moins, ses alliés ponctuels meurent cependant tous au gré de son passage dans leurs aventures. D’autant que les phases de combat du loup – finalement lassantes – offrent ce qu’il faut dans le registre sanguinolent.


La mort de March ne nous fera que bien peu de choses. Les vannes lacrymales ne seront même pas effleurées. Il y a un « trop » dans la mise en scène qui nous enjoint à nous méfier prudemment de la manœuvre. Oui, c’est bien un tire-larme que je lis ici ; et plus il tire, plus je garde les yeux secs. La vigilance ne nous quitte pas chaque fois qu’un personnage secondaire nous sera présenté. Sa mort à moyen terme est presque acquise, aussi ne s’attache-t-on pas à lui. D’autant que rien dans leur personnalité ne nous aide franchement à nous les faire apprécier.


Passés vingt chapitres, la qualité du dessin s’abâtardit et s’affaisse drôlement. Les contours sont plus doux, plus arrondis ; on retrouve moins l’âpreté des débuts, tout est plus lisse pour qu’on se laisse glisser.


Ce drame en peau de lapin, ces enjeux qui vont crescendo ; tout cela devient si rustre et commun. Non, To Your Eternity n’a tenu aucune des promesses que laissait entendre son atmosphère au premier chapitre. Tout n’est plus que chouineries et tragique faussement éthéré au milieu d’un monceau de bons sentiments creux pour ce qu’ils ont de vide en eux.


Plus l’intrigue évolue, et plus j’ai le sentiment de découvrir un Shônen croisé Shôjo. Ça reste écrit convenablement, bien que je ne daigne lâcher l’adverbe que les dents serrées. Rien ne me plaît tant tout est faux. Ces sourires, bon sang, ces sourires… qu’ils sont faux et insincères. N’y a-t-il donc aucune expression au Japon équivalente à nos « Trop point d’en faut », ou « Il ne faut pas abuser des bonnes choses » ? Il y a un abus, c’est chose certaines et c’en est pesant à la lecture.


Le spectre des aventures est assez varié ; je reconnais au moins ça. Le cadre chamboule sans dérouter. Les paysages, les époques ; tout le décorum varie selon les arcs jusqu’à ce que plus rien n’ait trop de rapport avec ce qu’on a connu initialement. Les paysages changent, le trajet reste le même ; froidement rectiligne, avec ce qu’il faut de jérémiades doucereuses pour rythmer le parcours. Non, Yoshitoki Ôima n’a pas perdu ses travers d’antan pour ce qui est d’expliciter la mise en scène de son œuvre. Je reconnais la minutie autant que j’abhorre la méthode. Elle n’est la femme que d’une seule astuce littéraire, en use et en abuse pour l’éternité. Et l’éternité, c’est foutrement long. Surtout sur la fin.

Josselin-B
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il y a 4 jours

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Josselin Bigaut

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