Le choix des éditions Mangetsu d'entamer la renaissance éditoriale des œuvres de Junji Itô par son Tomié n'a rien d'un acte anodin. Après tout, 24 ans de sa vie traverse cette succession de courtes histoires horrifique, toutes reliées par un être à la beauté diaphane, voire inhumaine : Tomié, une jeune femme démembrée par les élèves de sa classe et devenue un esprit vengeur inarrêtable.
Long de quelques 750 pages, cette intégrale nous offre l'opportunité de revenir sur l'un des personnages phares de la carrière de celui qu'on surnomme sans hésitation le maître de l'horreur japonais.
La carrière de Junji Ito
Digne héritier de Kazuo Umezu (ses œuvres sont édités chez nous au Lézard Noir), Junji Itô démarre sa carrière créative par une volée de pages mettant en place la légende de Tomié, qui dessinent déjà les contours d'un personnage iconique. Le temps d'une mention honorable à un concours de manga grâce à cette courte histoire, et voilà que la motivation nécessaire au lancement de sa carrière trace son chemin dans l'esprit du prothésiste dentaire. Le phénomène Itô est lancé, et sa carrière nous abreuvera de créations illustres de l'horreur japonaise, comme une certaine Spirale, ou de démons facétieux comme un certain Soichi.
En découvrant les diverses chapitres servant de bases à Tomié, on découvre donc en parallèle l'évolution graphique du mangaka : d'abord brouillon, le trait propose vite des visages plus affinés, et une horreur toujours plus graphique. Pourtant, si les premiers chapitres peuvent rebuter, on y trouve pourtant déjà les graines d'une horreur hypnotisante et visuellement marquante.
Tomié, femme fatale
Quant à la fameuse Tomié, difficile de faire état de tout ce qui en fait un personnage phare de l'horreur japonaise. Sa filiation évidente aux mythes des yokai et autres esprits vengeurs participe déjà à lui donner une aura réelle et impalpable, dont les motivations sont aussi brumeuse que l'esprit des hommes cherchant à s'accaparer l'attention de cette femme fatale. Pourtant, son charme ensorceleur se couple à une vanité sans pareille mesure, toujours plus avide d'attention et de preuves matérielles afin que l'élu choisi puisse espérer garder une maigre place dans le cœur moribond de Tomié. C'est pourtant cette addiction délirante qui pousse ces hommes à finalement tuer l'objet de tous leurs désirs et fantasmes dans un carnage sanglant aux victimes collatérales toujours plus nombreuses.
Il faut dire que Tomié se répand comme un virus, contaminant sang, peau, murs et autres environnements, incapable de véritablement mourir et toujours en recherche d'une nouvelle victime. C'est d'ailleurs cette composante virale qui donne lieu à une succession de scènes graphiquement somptueuses, où le body horror fait loi. Les jeunes femmes se révèlent être le seul rempart entre Tomié et la fin d'un monde, même si son influence semble se restreindre à de petits rassemblement sectaires en son honneur.
Il ne faudra cependant pas attendre de véritable conclusion à l'histoire de Tomié et à ces 24 ans de traque, Itô préférant nous laisser dans le doute de sa disparition totale...
Après tout, ne dis t'on pas que le Mal incarné ne peut jamais véritablement mourir ?