Le quatrième album des "Formidables Aventures Sans Lapinot", est publié à un moment assez particulier de la carrière de Lewis Trondheim. Peu après la mise en veille de la série-fleuve Donjon – le dernier album en date est alors Révolutions, tome 106, juin 2009 – et peu avant le lancement de la série Ralph Azham, principal projet de Lewis durant les années 2010 et dont la première pierre est posée à l’automne 2010 (parution du premier tome en mars 2011). Top Ouf fait également le pont entre les deux séries Lapinot, se situant chronologiquement après la mort de Lapinot (La Vie Comme Elle Vient, 2004); de plus certaines situations de la nouvelle série sont préfigurés ici – par exemple le couple formé par Alice et Richard, ou le rétablissement de celui-ci après la bagarre survenue dans l’album précédent La Vie Comme Elle Vient.
Bien que connaissant la série Lapinot depuis maintenant cinq ans, j’ai beaucoup tardé à aborder cet album, je l’ai longtemps redouté. La couverture troublante, l’ambiance plus légère (conséquence de l’absence de Lapinot?) et "glamour" (quel terme affreux!) qu’à l’accoûtumée chez Lewis Trondheim, ainsi qu’une certaine défiance de nombreux lecteurs vis-à-vis de cet ouvrage. Il a déjà été dit que Lewis Trondheim ait avoué que cet album a été publié pour faire rentrer de l’argent, mais je n’ai à ce jour trouvé aucune trace d’un tel témoignage. Bien au contraire, l’auteur affirme sur son forum avoir conçu cet album comme un épilogue aux aventures de Lapinot et au passage d’apporter une touche de légèreté à la série qui s’était en 2004 achevée de façon assez sombre (source: http://www.lewistrondheim.com/forum/viewtopic.php?t=132).
Tout Trondheim est là: un pari fou, des embrouilles insécables, une surenchère dans l’extravagance des situations, le tout arrosé d’un humour bien dosé. D’un point de vue stylistique, cet album reste fidèle à l’esprit de la série d’origine, dans le dessin souple et la mise en couleur. Toutefois, celle-ci est par moment assez criarde, notamment dans les scènes de danse; en ce sens ce côté clinquant sert le propos.
Je ne trouve pas de défaut rédhibitoire à cet album, l’ensemble est assez équilibré, même si l’histoire est très centrée sur le personnage de Richard. Les personnages secondaires sont peu nombreux et assez en retrait (un autre point que l’on reproche beaucoup à cet album), et tous ont déjà été rencontrés dans La Vie Comme Elle Vient. Si Félix et Patrick sont cantonnés dans un rôle de faire-valoir, de sidekicks pour Richard, le cas d’Alice et Vincent est bien plus intéressant, en particulier dans la manière dont leur relation est décrite: Vincent, le type ultra maniéré, monomaniaque de l’hygiène, très attaché à Alice, laquelle, exaspérée par les travers de son ex-compagnon, se montre très froide envers lui.
L’album est construit en deux parties; la première est avant tout centrée sur les relations entre les personnages (cf. plus haut). Puis intervient vers le milieu de l’album une nette cassure dans le rythme, marquée par l’entrée de Richard et ses amis dans la boîte de nuit – ce passage est hilarant. Ensuite, le rythme va crescendo jusqu’à la fin. Nous sommes d’abord témoins de l’incroyable magnétisme de Richard qui réussit à séduire toutes les filles de la boîte: une nouvelle incursion dans le surnaturel, mais plus discrète cette fois-ci. Le charisme absolu de Richard poussera celui-ci, bien malgré lui, vers une gloire éphémère, vingt-quatre heures de célébrité.
Peu après, le retour à la vie quotidienne nous ramène les pieds sur terre. Une chute un peu précipitée mais fort juste.
Décidément, j’ai du mal à comprendre toute la méfiance qui se masse autour de cet album… il est selon moi un opus non indispensable mais qu’il est intéressant de découvrir, ne serait-ce que pour son approche inhabituelle de l’univers anthropomorphe de Lewis Trondheim.