Tourne-disque par jerome60
Tourne-disque est un homme qui approche de la cinquantaine. Un homme noir, vivant dans le Congo des années 30 au sein d’une riche famille blanche. Depuis qu’il a huit ans il est employé à faire tourner un gramophone pour que ses maîtres puissent écouter de la musique. Le problème avec les 78 tours, c’est qu’il faut les retourner toutes les cinq minutes. Et quand on veut profiter d’un opéra dans son intégralité, les manipulations s’avèrent fastidieuses. Tourne-disque a donc été formé pour passer les galettes sans les abîmer. Comme le dit le fils de son maître avec un humour tout ce qu’il y a de plus colonial : « Pour chaque disque qu’il rayait, mon père lui donnait un coup de cravache. A ce régime-là, même un éléphant aurait appris à traiter les disques avec plus d’attention qu’un nourrisson. »
Lorsque Tourne-disque rencontre le grand violoniste Eugène Isayë venu de Bruxelles pour offrir un récital aux colons, il trouve enfin un interlocuteur aussi passionné de musique que lui. Peu à peu les deux hommes vont apprendre à se connaître et à s’apprécier, au point qu’Eugène, de retour en Belgique, confiera à se femme avoir trouvé un « frère de son ».
Encore une belle histoire imaginée par Zidrou et magnifiquement illustré par le trait élégant et les couleurs lumineuses de Raphaël Beuchot. Une histoire d’amitié qui coule comme une évidence entre deux personnes que tout semble pourtant opposer. Une histoire de connivence et d’estime mutuelle au-delà de toute considération sociale. Mais comme toujours avec ce scénariste, on ne donne pas pour autant dans la guimauve. Il est aussi question de servitude, de colonisation, du peu d'égard qu’ont les blancs pour les « nègres ». Et quand on croise un homme voulant retrouver la femme noire qu’il a chassée après l’avoir mise enceinte vingt ans plus tôt pour s’excuser de son geste, on trouve l’intention admirable. Sauf que l’on apprend quelques pages plus loin que cette visite n’avait rien d’altruiste, son but étant d’amadouer la mère afin de récupérer l’enfant et de l’amener en Belgique pour qu’elle puisse veiller sur les vieux jours de ce père inconnu. Bref, comme d’habitude chez Zidrou, il faut qu’à un moment ou l’autre ça gratte un peu. Et comme d’habitude ça rend la lecture d’autant plus savoureuse.