Riichiro Inagaki et Ryoichi Ikegami main dans la main pour signer une œuvre ? Oui. S’il vous plaît. Merci.


J’en ai des griefs à adresser à ce monsieur Ikegami, pour s’être fait le porte-plume de vilaines thèses cachées derrière le divertissement. Et pas qu’une fois. Cela dit, comment peut-on ne pas pardonner à un homme qui se sera commis avec Hideo Yamamoto ? Comment ne pas révérer un dessinateur qui, des décennies durant, sera resté l’invariable artiste au crayonné si savoureux ? Quand cet homme-là poussera son dernier souffle, un pan entier de l’histoire du manga s’éteindra avec lui.


Il est bon de le voir toucher à tout cet homme-là et surtout, de multiplier les partenariats, y compris avec des générations d’auteurs postérieures à la sienne. Riichiro Inagaki en est. Que j’apprécie ou non ses œuvres, celles-ci ont toujours quelque chose à apporter. Ce ne sont ni des copies de copies, ni des compositions peu inspirées. Il a une idée, une bonne idée, et l’exploite ce qu’il faut. Parfois un chouïa trop, mais sans trop jamais se montrer déraisonnable.

Aussi lorsque j’ai vu leur nom à tous les deux sur la jaquette de Trillion Game, c’est pour une fois avec enthousiasme que je me lançais dans ma lecture.


Comme d’habitude à l’écriture, Inagaki est naze pour écrire ses personnages. Vous les avez tous déjà vus ailleurs ces archétypes, que leur démiurge passa du Shônen au Seinen n’y changera en effet rien à l’affaire. Haru, le personnage principal, est simplement trop parfait. Ses lacunes n’en étant pas véritablement, à supposer qu’il en ait. Il a des aptitudes sociales qui lui permettent de se sortir de toutes les situations ; ne parlons pas de ses capacités physiques hors du commun, ou de son intelligence pratique. Il a des réseaux tentaculaires dans le monde des affaires il parle aussi bien mandarin que français, sans compter toutes ses autres compétences distillées au gré des chapitres. Quel intérêt de suivre le meilleur, puisque son parcours vers le succès est tracé d’avance ?

Mais cela, parce que je connais son animal d’auteur, le l’écris désinvoltement avec même une forme de bienveillance coupable dans le propos ; que les personnages signés Inagaki furent inintéressants était entendu par avance. Mais les mangas de Riichiro Inagaki sont de ceux qui se concentrent sur un sujet ; sur un jeu, que ce fut le Football Américain ou l’utilisation ingénieuse qui fut faire de la science. Le reste de l’œuvre n’est mis en œuvre que pour articuler la thématique. Son scénario, ses personnages ; Inagaki fait avec plutôt que de faire pour. On appellera ça l’école Shinobu Kaitani, une à laquelle je m’assieds volontiers au premier rang.

Il n’empêche que ce sont vraiment des personnages navrants au point de pouvoir rebuter un lecteur.


Ce jeu, celui de deux partenaires en affaire, partis de rien pour faire fortune, aurait pu prêter le flanc à l’intérêt si tout ne se passait pas si bien. Dès le troisième chapitre, le duo bénéficie d’un capital de cent millions de yens à investir. L’intérêt de ce genre de mangas tient au fait que les protagonistes commencent de tout en bas pour graduellement atteindre le sommet. Le principe Nekketsu dirons-nous, ici transposé au monde des affaires. Là, tout part sur les chapeaux de roue, on jurerait que l’auteur est pressé d’en finir à peine son manga commencé.

La menace de la Princesse Kiri n’en est pas une dès lors où celle-ci aura davantage agi auprès d’eux comme alliée comme comme ennemie.


Haru utilise le bluff pour parvenir à ses fins, c’est là le sel du plat qui nous est servi. Je vous parle alors d’un sel artificiel dont la fadeur vous fera renoncer au gueuleton. Ce n’est pas tant l’ingéniosité de ses bluffs qui lui permettent de remporter ses victoires, mais le fait que la narration torde le bras au scénario pour que tout profite au personnage principal. La plupart sinon la quasi-intégralité de ses roublardises ne tiennent pas debout si la béquille de la narration ne se trouve pas là pour renforcer son assise. Il est loin, Kaiji. Tant et tant que son sens de l’astuce sera imperceptible.

Cela me peine de l’écrire… mais on se rapprocherait davantage d’un Usogui.


C’est un binôme qu’on trouve en principe sur le devant de la scène, bien que Gaku ne s’illustrera qu’en deux occasion :


- Insister auprès du lecteur pour rapporter à quel point Haru est exceptionnel, se complaisant dans un rôle de faire-valoir sans caractère ;

- Faire de la programmation magique. Comme dans ces films où un personnage tape très vite sur un clavier pour souligner à quel point il est doué dans l’art des z’internets.


Si au moins on en apprenait sur le milieu du codage ; de la vulgarisation d’un système technique, je suis preneur si cela peut se prêter au soutien d’une intrigue. Mais non. Ce sera de la programmation où l’écran ne nous sera jamais montré. Autant parler du Hikaru no Go de la programmation.

Devinez à quel point il est frustrant de contempler une compétition dont on ne voit pas la discipline exercée ; où la focale n’est placée que sur la mouille des commentateurs dont on devra prendre les propos comme parole d’Évangile. Non, décidément, cela n’engage guère à la lecture. Le plus grand bluff exercé le temps de Trillion Game aura été commis par l’auteur à notre endroit. Et on y voyait à travers.


C’est un manga sur le milieu des affaires où l’on apprend rien sur le milieu ; c’est littéralement Hikaru no Go transcrit dans un cadre entrepreneurial. Il y a tant à apprendre sur la loi, sur la finance, sur la gestion des ressources humaines, sur les partenariats et les stratégies marketing pour faire un bon manga sur le sujet. À la place, nous aurons droit à la fanfare du sieur Haru qui piétinera la moindre forme d’adversité ayant le culot de lever le museau à un instant donné, le tout avec cet invariable sourire de tête-à-claque sur le visage. Et il niquera la plus belle quand il le pourra. Naturellement.

Mais ça, c’est je crois signé Ryoichi Ikegami ; j’ai en effet pas souvenir d’avoir lu un manga dont il fut le dessinateur où le sexe y était absent. Du cul – fugacement, certes – pour la seule finalité du cul, on s’en passe. De ça, et du reste. Notamment de tous les personnages féminins systématiquement ravissants – quoi que superficiels dans ce qu’ils exhalent – qui alourdissent une œuvre déjà pesante plus que de rigueur.


J’ai des flashbacks qui me reviennent. Pas des bons. Ce duo agissant de tandem pour gravir les marches les conduisant à la consécration, leur ami « boderline », le dessin d’Ikegami ; c’est rien moins que Sanctuary qui recommence. Le préchi-précha politique en moins, Dieu merci.



Tout ce personnel qui travaille dans un petit appartement ravive quant à lui les mémoires d’une lecture de Bakuman ; la passion en moins. Tout est si faux et spécieux ; les personnages si creux – et ça devient un problème quand il n’y a pas de contenu à exploiter le temps que la trame s’élabore – c’est un manga sur du rien ; une pure entreprise de spéculation graphique et scripturale.


Les marches qui les conduisent au succès, ils les gravissent dix par dix, un chapitre après l’autre. Ça grimpe si prestement qu’il faut sans cesse rajouter de nouveaux étages à la tour qu’ils escaladent. Critiquer Trillion Game, c’est faire la chronique d’un désastre annoncé et radoté.

Moi qui me faisais une joie de le lire.


J’ai, durant cette lecture, fini par me détourner de l’amour relatif que je portais aux dessins de Ryoichi Ikegami. Ils sont si crispés que les visages n’y apparaissant jamais authentiques. C’est du joli vide ; un qui répond au fond par la forme.


Trillion Game serait donc un Mind Game ; un Jeu d’Esprit, dont on l’aurait dépouillé par avance de son caractère ludique, puis spirituel. Reste un ennui plat, animé par les agitations vaines et enjouées d’un personnage principal qui sera voué à attirer votre antipathie sans que cela ne soit la volonté des auteurs. Trillion Game n’est pas mal écrit ; ça n’est simplement pas écrit. Et pourtant, on se sera plu à mettre en scène en copie blanche comme s’il y avait eu quoi que ce soit à en tirer.

Pareil à l’entreprise parasite de Haru et Kabu, qui se pose comme un intermédiaire dispensable dans le milieu du commerce, le manga s’impose aussi comme une variable cherchant à créer une valeur ajoutée indue sur un concept sans propos ni avenir. Et le pire étant que la bagatelle semble partie pour durer ; faisant perdre de nombreuses années d’écriture à Riichiro Inagaki dont on espère un retour providentiel dans un registre Shônen où il semble mieux s’y épanouir.

Josselin-B
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le 13 oct. 2024

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Josselin Bigaut

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