Trillium, c’est un long poème de deux cents pages sur une histoire d’amour semblable à nulle autre, parsemé d’images d’étoiles, de vaisseaux spatiaux, d’extra-terrestres à la peau bleue, et dont les protagonistes viennent de deux époques éloignées de près de deux milles années.
Le premier, William, a fait la guerre, celle qu’on appelait autrefois la Der des ders. Le second, Nika, une jeune femme du quatrième millénaire, nous parle de conquête spatiale et entretient d’étranges conversations avec une intelligence artificielle nommée Essie, au sujet d’un obscur virus qui semble condamner tous les êtres humains du système solaire à l’heure où il n’en reste pas plus de quatre mille. Le premier ne s’est jamais vraiment remis de l’atrocité de la guerre, le second a été témoin de la mort soudaine de sa mère, le dernier être cher qu’il lui restait. Ces tristes images resteront gravées dans leur mémoire pour toujours et sont les causes d’une solitude maladive dont ils ont du mal à échapper. Toutefois, un événement extraordinaire va les faire se réunir et vivre une histoire qui va leur donner enfin cette possibilité tant rêvée de mettre fin à cette solitude qui les ronge, et même plus que ça...
Je suis pas forcément fan des critiques qui commencent par un résumé de l’œuvre en question, mais pour le coup, je me suis senti obligé de le faire. Pourquoi ? Tout simplement pour mettre en avant ce qui est pour moi le personnage principal de cette histoire : la Solitude, avec un grand S. Déjà hantés par des images insoutenables et fragiles mentalement, Nika et William vivent nombre de péripéties qui les font douter toujours un peu plus, les faire se sentir incroyablement impuissants face à des événements qui les dépassent. Eux seuls se comprennent, et cette solitude partagée, si je puis dire, va donner naissance à une histoire d’amour comme nulle autre. Pas un amour fait de « je t’aime » et de bisous tout mignons tout beaux sur la bouche, non, mais une espèce d’amour platonique né de la compassion qu’ils éprouvent l’un envers l’autre, et de ce désir mutuel de ne plus être seul, d’être toujours accompagné, et ce quoi qu’il advienne. Notre empathie pour ces deux héros malgré eux s’accroît au fur et à mesure que les pages se tournent, on est avec eux, on les soutient, et ce qui est remarquable, c’est que le récit ne tombe jamais dans un pathos larmoyant. Tout est parfaitement dosé, de la première page, intrigante, à la dernière, déchirante. Les dernières pages dégagent d’ailleurs une telle puissance, une telle émotion, qu’on ne peut être que bouleversé au moment de refermer le livre.
Déjà conquis par ses runs sur les séries Green Arrow et Animal Man, c’est avec beaucoup d’envie que j’ai commencé la lecture de ce joli bouquin, brillamment édité par Urban Comics (malgré deux ou trois petites coquilles). Tout d’abord, parce que je suis fan de son coup de crayon. Son style divise assez, ça plaît ou ça ne plaît pas, mais on ne peut pas dire qu’il laisse indifférent. Ce style graphique unique était ce qu’il y avait de mieux pour un univers (au sens large) tout aussi unique, concocté de toute pièce par notre ami Jeff. Ajoutez à cela une narration au poil, avec pages et cases à l’envers dans un souci d’immersion optimale. Là aussi, ça plaît ou ça ne plait pas, mais pour le coup, on ne peut pas reprocher à Lemire de ne pas s’être donné à fond, surtout quand le mec t’invente tout un alphabet extra-terrestre, avec bulles à déchiffrer, histoire là aussi de pimenter un peu le truc et de rajouter toujours un peu plus de profondeur à ce space opera romanesque.
Bref, Jeff Lemire est un auteur remarquable, il a une capacité incroyable à nous faire rentrer dans son récit, à nous faire aimer ses personnages. Avec Trillium, il nous a livré un bouquin bourré de sincérité et de talent qui figurera parmi mes lectures les plus marquantes de cette année 2014, et qui aura mérité une jolie place dans ma bibliothèque, entre Watchmen et le premier tome de Saga, rien que ça.