«Mais, Seigneur Bigaut», vous exclamez-vous outrés, vous qui me tenez habituellement en si haute estime (depuis qu'on ne peut plus mettre de pouce vers le bas sur SensCritique, je ne puis par conséquent que déduire mon absolu plébiscite), «Vous avez, et de loin, outrepassé les côtes du Japon. Vous vous fourvoyez bien loin des sentiers du manga coutumier. Partez-vous donc en exil, vers des terres barbares, alors que vous critiquez présentement.... une chinoiserie ?».


Point d’errance n'est en cause, je transite simplement vers la nouvelle étape improbable d’un parcours qui m’a été fléché. Certains le savent et les autres le sauront : j’aime beaucoup Hunter x Hunter. Ma ferveur à son endroit tend raisonnablement vers la déraison ; une qui soit franchement motivée, la critique que je fais de l’œuvre – du chef d’œuvre – je le crois (et je le sais), en atteste. Or, c’est une malédiction infernale que d’avoir eu un goût de paradis, surtout quand la denrée se fait rare et précieuse une fois revenu en ce bas monde. Inexorablement, le manque s’installe. Des lecteurs, alors qu’ils constatent ce qu’ils tiennent dans mon verbe comme une hyperbole, pourraient avoir le sourire facile ; ils auraient bien tort. La souffrance de ce manque que j’éprouve, sans mener toutefois à une issue fatale, est bien présente en moi. Lorsque l’on accède à une œuvre qui, dans son registre – et débordant même au-delà – atteint un rang suprême, tout ce qui lui succède s’affadit en conséquence. En des termes moins choyés, je vous dirai qu’on rechigne à mâcher de la merde quand on a trempé les lèvres dans l’ambroisie des dieux. Alors on désespère, on expire à chaque instant que l’on s’emploie à vivre ; une vie que l’on croit bien vaine quand le manque devient grandissant.


Devant ce constat ainsi dressé, amer et désespéré, certains, à commencer par tous ceux qui ont lu Hunter x Hunter, ne comprendront que mieux mon âpreté acharnée à vouloir farouchement me trouver un substitut à une œuvre qui, parce qu’elle tutoie les cieux, ne trouvera de toute manière jamais la moindre émule capable d’égaler sa hauteur olympienne. Et pourtant, je persiste à chercher ce qui pourrait s’y apparenter. Me voilà devenu Hunter. Un qui traque sans relâche tout ce qui peut se trouver de qualitatif dans le paysage nekketsu. Et au revenir de la chasse, j’annonce que le gibier s’est éteint. Ne reste dans son glorieux sillon que les traces de pas mal assurées d’une myriade de sous-espèces bâtardes dont la prolifération nous intime à entreprendre une extermination que même la morale ne saurait réprouver. Mais toujours, je piste et je traque ; car à ce stade je suis simplement trop obsédé par la manque pour abandonner. Et des indices, parfois, j’en trouve. Ça me fait un repas, et un repas, par les temps de vaches maigres, même s’il n’a que peu de goût, aura toujours l’arôme exquis d’une menue bénédiction.


Réclamant les bénédictions en série, en bon dévot que je suis, j’ai rampé de tout mon long sur les millions de marches que compte le chemin vers l’Olympe afin d’y trouver le démiurge qui, de la seule force de sa création, reste captif de mon cœur et mon esprit. Et dans son infinie mansuétude, ce dieu discret nous aura gratifié de quelques mots précieux dont nous ne serons jamais assez dignes. Figurez qu’il y a quelques années de cela, le maître nous aura suggéré quelques pistes de lecture parmi ce qui, en ce temps-là, se faisait de nouveau.


Pudiquement, poliment même, j’ai omis de voir qu’il nous avait suggéré la lecture de Demon Slayer. EX-ARM, c’est en diagonale que je l’avais survolé. Ni l’envie et encore moins le besoin de me salir les doigts à effeuiller ses pages ne m’avait traversé l’esprit en ce temps-là. Il est à noter que l’œuvre est aujourd’hui notoirement réputée pour l’infinie nullité de son adaptation animée. Cependant, à sa lecture, peut-être y viendrais-je. Et en rampant en plus. Car à défaut de grives, ou même de merles, le premier raton-laveur éventré depuis six jours sur la chaussée fera bien l’affaire.


Vaches maigres, je rappelle.


Et puis, il y a Koudaike no Hitobito. Un manga dont la seule lecture de l’étiquette « comédie romantique » me refile une chiasse démentielle avant même d’y avoir goûté des yeux. Peut-être était-ce par nostalgie de ses premiers amours que Togashi nous le présentait. Il est des mélancolies dont il fait bon se dispenser.


Qu’on se le dise, à en juger par ses recommandations, il y avait matière à désespérer en compagnie d’une corde raide. Vînt enfin le quatrième et dernier titre à nous être soumis. Là où je me doutais pertinemment que les trois précédents ne furent mentionnés que par camaraderie plutôt que par stricte conviction (car rappelons que les trois auteurs des œuvres suspentionnées, comme Togashi, sont affidés à l’écurie Shueisha), la même remarque ne pouvait en aucun cas être adressée à Ultramarine Magmell. Qui fut… néanmoins édité par la Shueisha à son tour. C’est en tout cas d’un manhua dont il s’agit, c’est-à-dire une bande dessinée originaire de Chine ou de Taïwan dont le code stylistique est partiellement dérivé du manga. De ces concoctions bullesques, j’en raffole assez peu. D’autant moins en réalité que le sceau de la médiocrité y est profondément incrusté jusque dans le dernier nucléotide amené à constituer leur ADN.


Par curiosité – et surtout par dépit – je déflorais cependant la première page.

« Un nouveau continent est apparu de nulle part ! »


Les rotules douillent. Elles peuvent ; car je viens de tomber à genoux, les mains tendues vers le ciel. La consécration : enfin ! Je le tiens mon simili-Graal. Peut-être bien qu’il est fait en plastique jaune, peut-être bien que le sang qu’il contient a été édulcoré à la grenadine, mais je mets chaque lecteur de cette critique au défi de me proposer un jour une œuvre qui soit plus semblable dans sa structure à ce que nous a jamais proposé Togashi avec Hunter x Hunter. Notez que je ne serais pas mécontent si, ce défi, vous le releviez avec brio. Il est des circonstances à l’issue desquelles je sais me montrer bon perdant.


L’inspiration de Togashi, si elle n’est que partielle dans la présente composition, est néanmoins si palpable qu’elle en devient indéniable. Togashi lui-même ne s’y est pas trompé en nous la proposant avec cette fausse désinvolture qui nous invitait en réalité à la découverte effrénée. Des joyaux, qu’ils fussent petits ou ternes, je n’ai jamais été homme à les jeter à la poubelle. Leur rareté m’intime en effet à quelques dorloteries excessives à leur égard. Aussi, qu’on se le dise, objectivement, Ultramarine Magmell vaut un point de moins que ce que j’ai pu avancer avec ma note. Toutefois, quelques saines proximités avec les écrits nekketsu suprêmes m’ont naturellement inspiré un sentiment de mansuétude béat. Qu’on me le pardonne.


Il faut dire qu’elles sont rares, en effet, les occasions que j’ai de ne pas me focaliser sur le pire. Aussi savourez cette critique autant que j’ai pu me régaler de l’œuvre depuis laquelle je l’ai puisée. Les prétextes au régal ne sont que modérés, certes. Mais mieux vaut rester sur sa faim après un quasi-repas de gourmet que de perpétuer encore la cure de cyanure à laquelle je fus contraint de m’astreindre depuis trop longtemps faute de mieux. Allez pas reprocher à un homme qui halte sa traversée du désert de ne pas mettre un dessous de verre quand vient l’heure d’étancher sa soif. Dans cette critique, des angles morts, il y en aura, c’est admis. Que voulez-vous, après des années de grisaille, la moindre éclaircie me fait oublier les nuages.


Le début Ying mon Yang ; de ce qu’il y a de bien et de mal, on ne sait trop par où opérer le tri. Ce Nouveau Continent, sujet de toutes les convoitises du fait de ses denrées et ses mystères, donne un aperçu ragoutant ce qu’il faut pour qu’on trépigne d’y aller. Mais en quelle compagnie, je vous le demande. Le personnage principal ? C’est Mary-Sue, les couilles en plus. Grosses, les couilles, cela va sans dire. Il ne manquera en tout cas pas de les coller au nez de tout ce qui fera figure d’adversaire le long de son périple. Tout, dans le continent qu’il explore, crie danger. Les morts y sont légion, le risque est perpétuel. Seulement, notre héros… avec sa bite et son couteau – et oubliez le couteau -, commande une halte à l’Armageddon partout où il passe. Tout cela, sans qu’un seul de ses muscles de soit évidemment froissé dans l’affaire. La facilité qu’a Inyo à annihiler le concept même d’adversité quand celui-ci cherche à exercer la moindre emprise sur lui est insupportable. One Punch Man a fait ici des émules. Et pas des qui soient de susceptibles de me faire grimper au rideau. Le paysage est radieux ; on déplorera toutefois qu’un trublion, presque indésirable bien qu’il soit le personnage principal, vienne s’agiter devant nous pour nous pourrir la vue. Vous aurez beau soigner la scène, les accessoires et même la pièce que vous écrivez, si l’acteur majeur n’est pas foutu de déclamer une ligne sans qu’on se sente de lui jeter une cannette, l’œuvre sera irrémédiablement gâtée.


Ce n’est pas tant sa personnalité que son invulnérabilité qui est ici en cause. Les personnages, sans entrer dans des carcans trop étriqués, restent néanmoins réduits à quelques menues variables pour leur bricoler un semblant de personnalité. On ne lira pas Ultramarine Magmel pour ses personnages. Quoi que quelques surprises, au détour des histoires de sauvetage qui nous parviennent, rendront la lecture éminemment plaisante.


Comme le sursaut miraculeux d’un organisme qu’on croyait mort-né, l’œuvre ne se laisse cependant jamais étouffer par ces éléments qui, pourtant, ont de quoi lui être préjudiciables au point de lui être mortelle. L’élaboration du continent, de ses tenants politiques et économiques, le souci du détail pour ce qui se rapporte à son exploration font, que la construction de l’univers prend finalement le pas sur les explorateurs venus l’arpenter.


On va aborder les dessins, on va le faire. Il me faut néanmoins réunir préalablement mon conseil éthique pour déterminer s’il est raciste ou non de dire que des dessins, élaborés par des Chinois, se ressemblent tous. Comment dites-vous ? Le racisme à l’égard des populations est-asiatiques est de toute manière permis en France du fait que ceux-ci ne soient pas stupidement hostiles ? Dans ce cas, si la cible est si gratuite, je me refuse à tirer dessus.


Cette remarque mise de côté (ouais, j’dénonce), j’estime, pour avoir survolé quelques Manhuas et autres Manhwas, que les dessins y sont vraiment très ressemblants d’une œuvre à l’autre. Peu de place est abandonnée à l’originalité même si les styles peuvent se distinguer. Ici, les dessins sont assez inégaux d’une case à l’autre. Un travail plus méticuleux est opéré sur certaines en particulier là où, sous couvert d’humour ou d’un plan large opportun, les détails s’avèrent déficitaires sur d’autres planches. La contrainte de la publication à heure fixe fait en effet que les auteurs de Manhuas, comme les mangakas, ne peuvent pas tous prendre le temps de dessiner à leur rythme, ayant souvent recours à des astuces pour frauder et gagner du temps. Les phases d’action restent cependant appréciables à la lecture. Sympathique sans plus.


Personne doté de la vue et d’une mémoire ne fera l’impasse sur bien des plans dont le trait apparaît comme directement puisé depuis le répertoire Togashi. Les effets « électriques » noirs des créations d’Inyo, l’impact des coups, le simili Yupi, jusqu’aux atrocités des monstres rappelleront immanquablement les esquisses de Togashi, à commencer par celles qu’il commettait encore du temps de l’arc de Kimera Ant. Ça n’est pas probant, mais criant. Nous aurons même droit à une parodie déclarée de Gon – ainsi que de Luffy et Toriko - au sixième chapitre. Pourquoi cacherait-il son inspiration après tout, dès lors où il en retire le meilleur parti ? Même qu’il y a parfois de l’humour et de l’émotion… c’est objectivement un bon Shônen. Un correct en tout cas. Ce sont des choses qui arrivent quand un auteur sait s’inspirer du meilleur. Rares cependant ont sa présence d’esprit.


Le bestiaire et la flore de Magmell sont en plus sympathiquement élaborés, avec son florilège d’atrocités typiques de ce que Togashi fait pleuvoir à mousson quand il projette ses personnages dans des explorations. Représentez-vous le marécage de Numelle dont on aurait exacerbé la monstruosité et la dangerosité des créatures mortelles qui y sévissent : c’est ça, Ultramarine Magmell, à savoir l’exploitation du concept original des Hunters (renommé ici « Angler ») à tels que Togashi nous les avait d’abord initialement présentés. Aussi, on s’en régale ici au point de s’en lécher les doigts.


« Dis-y voir, si l’auteur a virtuellement pompé la moitié de HxH dans le principe ainsi que dans sa narration – car c’est aussi le cas – tu vas pas nous dire qu’il s’est essayé à glaner la substance du Nen pour en faire la base des pouvoirs ayant cours ? »


Le système de pouvoir, sans être évidemment aussi complet que le Nen, en est en tout cas très inspiré. Du moins pour ce qui est les créations finales. On parle d’un pouvoir de création qui permet de transposer des constructions de fantaisie dans la réalité. Un concept élémentaire simple aux ramifications parfois surprenantes. C’est clairement le principe des Hatsus de la matérialisation qui prend forme ici, et sans même trop s’embarrasser d’être autre chose. Leur application, toutefois, se bornera à un potentiel strictement destructeur. Hormis une seule technique utilisée par un personnage secondaire, les créations ont principalement vocation à occasionner coups, lacérations et autres explosions. Ça présente bien dans le dessin, mais c’était être dans son bon droit d’en attendre davantage.


L’intrigue avance mais nous échappe des doigts. Pas qu’elle soit inintéressante – bien qu’elle ne soit pas non plus franchement novatrice sur le plan scénaristique – mais elle a cette fâcheuse tendance à évoluer par à-coups, parfois soudainement sans trop que ce ne soit motivé par des impératifs narratifs du moment. Il y a des étapes vers lesquelles la transition prend quelques chapitres de temps avant de devenir parfaitement digeste. Des choses surviennent sans qu’on ne nous les présente ou que l’auteur ne nous prédispose à les accepter. Ça va parfois trop vite sans raison. Il faut le temps que le paliers de décompression soient franchis pour ne pas saigner du nez. Ou d’ailleurs. Le fait est que ça se lit avec un relatif plaisir en dépit des quelques soubresauts scripturaux dont on ne saisit pas toujours l’immédiat bien-fondé ou la pertinence. L’ellipse qui nous sera tombée dessus sans trop qu’on sache pourquoi et le chapitre qui aura suivi ne pouvaient pas ne pas nous apparaître comme forcés considérant la prestesse de la narration d’alors. D’autant que ça n’a duré que deux chapitres avant de reprendre le fil chronologique d’alors. Le sens, en bien des occasions, paraît faire défaut à la narration. Il faut s’accrocher, en prenant garde aux secousses.


À glaner les inspirations, j’ai même perçu une parenté ténue avec Shaman King en ce sens où le deuxième uniforme de Iyo est clairement puisé de la même mode que celui de Hao. C’est un détail en passant, mais pas un qui me laisse indifférent. Et puis ça fera du bien à votre culture, à vous autres. Les natifs du continent, dans leur diversité, rappelleront quant à eux les Yokais de Yu Yu Hakushô. Quand on le sait, on ne voit plus que ça.


Les frasques du clan Minga, avec l’arrivée d’Abelsans notamment, marquent la cassure nette advenue entre ce qui, dans le récit, fut enchanteur, et l’appel à la déferlante de bastonnades explosives qui s’ensuivront.


De là, on retrouve scénaristiquement tous les poncifs du Shônen lambda, bien qu’ici, correctement orchestrés ce qu’il faut pour capter l’intérêt du lecteur. Qu’on se le dise franchement toutefois, Ultramarine Magmell se sera salement vautré en s’imaginant pouvoir tenir une intrigue de longue haleine aux enjeux multiples. Lentement d’abord, laissant suggérer l’éventualité saugrenue du meilleur, puis brusquement, multipliant les étapes de l’effondrement d’une façade dont on feignait ne pas avoir vu qu’elle se lézardait. Ce ne sera pas tant cataclysmique cependant qu’on pourrait le comparer aux Shônenneries coutumières seulement, chute il y aura. Le début de la fin d’Ultramarine Magmell trouve ses prémices là où l’auteur aura cessé de puiser chez Togashi. J’y reviens, j’en démords pas, mais l’œuvre doit son intérêt au fait qu’elle se soit copieusement abreuvée aux mamelles de Hunter x Hunter, pour ensuite lui donner un allant qui ne pouvait guère que séduire le lectorat pour enfin le fourvoyer vers des sentiers moins avenants.

Josselin-B
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le 26 août 2024

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Josselin Bigaut

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