Critique et extraits : https://branchesculture.wordpress.com/2015/05/20/lax-reveille-les-don-quichotte-ensommeilles-dans-un-road-comics-eblouissant/
C’est un grand Christian Lax qui fait son retour. Enfin, son retour, il ne nous laisse que rarement longtemps sans nouvelles. Et vu le talent du bonhomme, ouf ! Mais ça faisait quand même, trois ans que Lax n’avait plus rien sorti. Bon, pour le coup, il nous gâte. Avec le premier, Un certain Cervantes, le spécialiste du cyclisme à l’ancienne entre dans le domaine sportif de la lutte. Il réveille en chaque lecteur son Don Quichotte avec un ouvrage brillant, aux multiples thématiques.
Pas facile d’être un revenant de la guerre d’Afghanistan, brimé, martyrisé, pris en otage. Pas facile du tout, même, d’autant plus quand on y a perdu une main et gagné un autre grain de folie que celui originellement présent. La vie de Mike Cervantès n’est pas un long fleuve tranquille. Lui, le cowboy de foire, reclus en Arizona, n’est pas sorti indemne de la guerre, c’est le moins qu’on puisse dire. Il a une dent et un poing (le seul qu’il lui reste de valable) contre la société, cette société américaine qui tourne mal. Celle qui voit le garage de son seul pote, emporté dans la crise des subprimes. Cette société qui a décrété qu’il n’y avait pas de place pour les gens du sud qui tentent de passer la frontière.
Cette société, aussi, qui voit de nouveaux et regrettables héros apparaître et la belle et grande littérature à nouveau mise à l’index. L’index de qui, l’index de quoi ? Qui peut prétendre interdire du Bukowski des rayons d’une bibliothèque ? Puis, dans les livres, c’est là qu’inconsciemment Mike a trouvé sa religion, sa bible, celle de Don Quichotte, un héros qui lui ressemble. Tout comme son papa, Miguel Cervantès qui, outre le même nom, porte aussi le même passé de soldat. Les mêmes blessures aussi, et dont le fantôme vient parfois converser avec Mick. Mick, l’enfant terrible pourtant capable de douceur, bien décidé à ne pas regarder le monde tourner mal sans avoir tenté quelque chose, même si c’est contre des moulins à vent. À la force des bras et d’un moignon « prothéisé ». Et, dans sa bagnole, sa « rossinante » comme sur un fidèle destrier, Mick se lance dans une course folle, dans un « road comics » duquel il lui sera bien impossible de revenir.
8h15, le réveil sonne. Top tôt pour un day off. Depuis quelques jours, la bd trône et me fait saliver, mais les rêves trop rapides n’ont aucune pitié pour mon envie de lire, de découvrir et de gratter ce qu’il y a en dessous de ce titre, étrange, de cet Un certain Cervantès. Alors, 8h15, aujourd’hui je m’y mets, pour une cinquantaine page, jusqu’au petit-déjeuner, pas plus. Je continuerai un peu plus tard dans la journée. Et pourtant, si je vous dis que je n’ai pas tenu, que ce bouquin je l’ai avalé fissa comme une tartine pleine de chocolat, vous me croyez ? Bon, la nocivité du chocolat en moins, et la finesse de Lax en plus. Mais quel coup de foudre, quelle beauté, quelle superbe œuvre. Peut-être, encore plus comme ça faisait énormément de temps que je ne m’étais plus plongé dans du Lax. Et à la manière d’un « Mad » Lax (temps cinématographiques obligent), il survole en maître cette épopée, cette errance survivaliste, vengeresse et violente.
Dans une impeccable, Lax fait plus qu’œuvre de talent, il est magistral dans cette évocation de sujets de société forts et graves. Une évocation qui nous fait passer par toutes les sensations possibles et imaginables : de la compassion, de la joie, de la tristesse, du stress, de l’incompréhension, de la révolte. De la révolte surtout ! Comme ce personnage, ce Mick qui pourrait être X ou Y, qui est ramassé, mais tente de se relever d’une guerre perdue. Il a perdu sa guerre comme sa main et comme la société qui a perdu la sienne en ne sachant pas aider ce vétéran de guerre qui n’avait rien demandé. Et qui, du coup, part en dérive face aux dérives injustes des banquiers, des policiers qui le traquent, des nouveaux gurus, de tous ces hommes qui abusent de leur pouvoir, de leur emprise.
Difficile en tant que lecteur de ne pas se sentir impliqué dans cette histoire d’un Mad Max à visage humain et à la Mustang rendue folle de colère. Toutes les problématiques sont esquissées et ingénieusement amenées, elles nous parlent. Comme John Wayne ou les Navajos qui croisent le destin de ce curieux justicier. Il y a ce combat pour le livre aussi, qui prend un peu plus de place en guidant la trajectoire de notre torturé héros. Ce combat qui veut crier « N’enterrez pas nos classiques, de ne les faites pas s’oublier ces trésors. » Et un vrai trésor, c’est ce qu’est un Certain Cervantès, complet et merveilleux, dans sa splendeur mais aussi sa réflexion, sublimée par quelques petites touches de couleur.