« Théodore Poussin » est une série qui m'a fait un tel effet que je suis en train de la relire depuis le début, un mois après l'avoir découverte. C'est la première fois que ça m'arrive. J'avais le sentiment de n'avoir pas tout saisi de cette épopée foisonnante, et je dois le dire, je suis tombé sous son charme, je me sentais donc appelé à me replonger dedans dès que possible.


J'ai longuement hésité à reconsidérer les premiers albums, que je trouve déjà excellents. Mais non, je trouve que mon premier sentiment était le bon. L'un des albums que je préfère dans le premier cycle est « Le Mangeur d'Archipel », qui est pour moi l'album fondateur de la série, celui où elle prend véritablement son envol après que Le Gall ait posé les bases dans « Capitaine Steene ». Mais celui-ci provient en partie des souvenirs de son grand-père et reste encore sage.


Dans le tome 2, Le Gall s'émancipe et crée parmi les plus fascinants de ses personnages, notamment Georges Town, Martin ou Sir Laurence Brooke. Surtout, il instaure une atmosphère absolument fascinante, mêlant aventure, Extrême-Orient fantasmé et exotique, poésie et violence. Mais il faudra sans doute que je consacre une critique entière à cet album, tant je l'apprécie et il me semble d'une grande richesse.


L'album pour lequel j'ai encore plus d'admiration après l'avoir relu est « Un passager porté disparu », qui m'avait déjà très fortement impressionné lors de ma première lecture. Je n'ai plus aucune hésitation à l'affirmer : il s'agit pour moi d'un vrai chef-d’œuvre. Un album qui nécessite qu'on ait lu les précédents au préalable, mais qui mérite bien ce qualificatif. C'est en effet un album maîtrisé de la première à la dernière case, que l'on parle du scénario, du dessin, du découpage, de la composition des vignettes ou des couleurs.


Une pure merveille de subtilité et d'émotion douce-amère. Théodore vit là une aventure intime, encore chamboulé par la houle de ses péripéties en Extrême-Orient. On sent toute la détresse intérieure de notre héros, tiraillé entre la joie de retrouver sa famille, un lourd secret qui pèse sur celle-ci et l'appel du large.


Pas de doute, il n'y aurait pas de « Vallée des Roses », le chef-d’œuvre absolu de Le Gall, sans ce tome qui l'annonce et nous prépare à nous prendre une grande et belle claque. C'est comme si Le Gall en faisait une répétition générale avant le feu d'artifice du tome 7. Il faut voir Théodore tourner en rond dans sa maison familiale, rêver en se promenant dans les dunes de sables, le cœur au diapason du temps pluvieux d'automne, ou encore sa sœur courir vers la chapelle pour pleurer ce frère qu'elle croit mort... Il faut voir tout cela pour se rendre compte que déjà Le Gall est un maître dans la peinture des sentiments les plus subtils, les plus beaux comme les plus douloureux.


En cela, « Théodore Poussin » n'est pas seulement la grande série d'aventure à laquelle on la résume un peu hâtivement. C'est aussi la quête d'une âme pure, jetée dans le fracas du monde, qui n'oublie pas d'où elle vient, son attachement à sa famille et ses amis, mais qui est également entraînée presque malgré elle à fuir son chez-soi pour vivre sa vie et se construire. Ce n'est pas seulement une aventure géographique, un périple à travers le monde, c'est également et avant tout le récit d'une aventure intérieure, d'un voyage initiatique, qui fera grandir notre héros...


Et peut-être aussi le lecteur, qui se replongera dans son passé et son présent, sensible à tel souvenir, telle vision, telle odeur, telle rencontre, tel sentiment qui lui semblait à jamais perdu et qui redevient d'autant plus vif à mesure que l'auteur le plonge dans des émotions bouleversantes, l'air de rien. Ce lecteur, qui ne peut qu'apprendre, avec notre héros, à mieux comprendre quel est son propre chemin et combien la vie est belle, précieuse et fragile.


Le Gall l'a déjà évoqué je ne sais plus où, son héros Théodore vieillit en même temps que lui, contrairement à d'autres héros du Neuvième Art, ce qu'il estime être un privilège. Et je ne lui donnerai pas tort. De naïf, Théodore perd peu à peu ses illusions... mais sans se perdre lui-même. Sans perdre son âme. Le Gall le met pourtant à rude épreuve, il le fait se confronter à la vraie vie, dont la dureté n'est pas tant celle d'évènements violents et imprévisibles, que celle de relations humaines complexes et parfois blessantes.


Pour autant, Le Gall sait aussi éveiller en nous des sentiments magnifiques. Rares sont les artistes à savoir le faire et à avoir eu la générosité de le faire. C'est sans doute cela qui fait que cette série est si fascinante et terriblement attachante...


Critique à retrouver sur mon blog ici.

ArthurDebussy
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les meilleures BD des années 1990, 200 bandes dessinées, Top Théodore Poussin, Top Frank Le Gall et Ma collection de BD

Créée

le 20 févr. 2021

Critique lue 91 fois

9 j'aime

Arthur Debussy

Écrit par

Critique lue 91 fois

9

D'autres avis sur Un passager porté disparu - Théodore Poussin, tome 6

Du même critique

Mary et la Fleur de la sorcière
ArthurDebussy
4

« Kiki à l'Ecole des Sorciers »

Manifestement, il ne suffit pas de reprendre l'esthétique d'un maître pour l'égaler. C'est ce que les suiveurs et autres académistes apprennent à leurs dépens depuis la nuit des temps en matière...

le 24 févr. 2018

59 j'aime

12

Princesse Mononoké
ArthurDebussy
10

Le passage d'un monde à un autre

« Princesse Mononoké » couronne la carrière d'Hayao Miyazaki par bien des aspects. Peut-être son film le plus riche et le plus complexe, c'est également l'un des plus accomplis formellement,...

le 13 août 2016

36 j'aime

10

Il était une fois dans l'Ouest
ArthurDebussy
9

Western épique et lyrique

Vu une première fois, trop jeune, il y a longtemps, j'étais complètement passé à côté de ce film. Je m'étais dit « tout ça pour ça » ?! Je ne comprenais pas le concert de louanges qui entourait ce...

le 19 août 2020

32 j'aime

20