Je ne m'attarderai pas sur le fond, qui est très intéressant et développe en profondeur tout une critique de l'impérialisme avec rigueur et précision, que ce soit dans les sources évoquées ou dans l'agencement du propos. On sent qu'il y a eu un travail sérieux derrière de la part de l'historien Zinn, et la structure de son livre "Une histoire populaire des États-Unis" semble respectée. C'est toujours intéressant d'avoir un autre point de vue sur l'histoire, surtout quand ça semble sérieux et bien documenté.
Mais le problème de cette "BD", c'est sa forme, tout simplement bâclée. Il ne suffit pas de dessiner le propos d'un livre en balançant quelques images d'archives pour faire de la bande-dessinée, et cet ouvrage ne tient tout simplement pas assez compte des spécificités du médium qu'il emploie.
Oui, certaines images d'archives sont pertinente, mais ces immondes montages photo/dessins simplistes (par exemple quand l'Irangate est évoqué, on présente "Wilfred" comme féru de tapis, et du coup on le dessine ... par dessus une photo de tapis. Était-il difficile de faire une case entièrement dessinée ?), ce manque de pertinence des dessins (la plupart du temps, la situation est décrite en deux cases remplies de texte, suivie d'une planche entière qui l'illustre) ou même la paresse du dessinateur en général (qui n'hésite pas à reprendre des cases à l'identique, en particulier pour les moments où Zinn s'exprime en conférence) sont indignes d'une Bande-Dessinée.
On sent même que le dessinateur ne savait parfois pas du tout comment illustrer le bouquin, se contentant alors de dessiner Zinn racontant son propos à une assemblée, et on se demande assez vite pourquoi cet essai fut adapté de cette manière.
La réponse la plus évidente qui me vint à l'esprit fut que c'était une manière aisée de vulgariser un propos, de le rendre accessible au plus grand nombre (les essais historiques sérieux n'étant pas des oeuvres largement diffusées). Et c'est vrai que la BD peut être un outil très efficace pour répandre un propos, de par la facilité avec laquelle elle se lit (par rapport à un livre en général), et aussi de par son caractère moins sérieux et austère pour une majorité du public.
Et en matière de politique, des oeuvres telles que Persepolis ou les Chroniques de Guy Delisle sont bien plus adaptées à leur format, avec une narration particulière, des dessins tout aussi simplistes en apparence, mais plus travaillés, une réelle cohérence visuelle et des propos parfois tout aussi profonds (bien que globalement plus naïfs, de par les différents vécus et connaissances des auteurs). Et si on veut rester dans de l'académique, ou de l'analyse plus en profondeur, Scott Mc Cloud avait montré avec son Art Visible qu'on pouvait véritablement, et intelligemment, proposer des "essais" sous forme de bande-dessinée.
Néanmoins, l'initiative me semble pertinente et porteuse, la BD comme vectrice du vulgarisation historique, politique, scientifique ou Xique peut être un outil très intéressant pour permettre à un large public l'accès à des informations qui sembleraient peut-être trop pesantes dans des livres. Ce n'est pas pour rien que des ONG comme MSF ou des entités nationales commandent parfois à des auteurs des BDs pour expliquer une politique ou une action (j'avais reçu il y a quelques années de la région wallonne une BD, assez médiocre, pour inciter les jeunes à agir pour une consommation énergétique plus intelligente), le tout est d'y mettre la forme.
En dehors de tout cela, comme le disait Confucius dans sa critique, les dessins ont aussi tendance à dé-servir le propos, en illustrant les Américains sous des traits de méchants, et leurs opposants à travers le monde de manière bien plus clémente, alors que le récit n'est pas aussi manichéen.
Mais le principal mérite de cette BD est d'inciter grandement à lire l'ouvrage original, qui semble passionnant. La note peut sembler sévère, mais dans le cas d'une adaptation, c'est la plus-value apportée par le médium employé qui me semble être le critère le plus important.