La fin de vie ne constitue pas le sujet le plus sexy qui soit, et a donné lieu à peu d'œuvres artistiques sérieuses (je veux dire évitant le piège du sentimentalisme facile et de la nostalgie racoleuse). Il ne nous vient sans doute même pas à l'esprit une BD qui traite de la vieillesse dans son stade terminal, quand la volonté de vivre n'est plus suffisante pour retenir la vie. Avec ce magnifique "Une vie comme un été", œuvre d'un couple d'artistes allemands pas forcément encore connus chez nous mais qui font ici un travail sensationnel, nous tenons enfin le livre dont nous avions besoin, sans forcément le savoir, pour nous aider à accompagner ceux que nous aimons dans la dernière étape. Et nous faire, inévitablement, songer à la manière dont nous affronterons nous-même la fin.


Formellement superbe, avec sa combinaison d'aquarelle, et d'un graphisme faussement simple et véritablement élégant, "Une Vie comme un été" raconte donc les dernières semaines de la vie de Madame Wendt, comme l'appelle le personnel de la maison de retraite où elle termine doucement son existence, dans cette solitude des personnes âgées caractéristique de notre époque. Mais, ce que Thomas Von Steinaecker et Barbara Yelin vont nous raconter, non, plutôt nous faire littéralement vivre par petites touches subtiles, c'est que cette mamie déjà un peu perdue dans sa tête et physiquement diminuée, c'est toujours la petite Gelda, cette élève timide brillantissime en Maths, amoureuse des chiffres et de l'espace, soit un esprit d'une intelligence exceptionnelle. C'est toujours la jolie Gelda, amoureuse d'un homme qui ne le lui rendra pas vraiment la pareille, qui sacrifiera une brillante carrière scientifique pour lui, et acceptera une vie ordinaire. Mais une vie pleine de ses infimes sensations de bonheur qui en font tout le prix. Une vie infiniment petite à l'échelle de l'univers, voire même dans la perspective de l'histoire humaine, mais une vie qui a compté. Qui compte encore.


La construction de ce récit, qui brasse une vie entière en quelques pages, est passionnante, déclinant l'essentiel d'une existence avec une légèreté paradoxale… Et d'autant plus impactante que ces brefs chapitres nous font ressentir très finement toute l'importance de quelques moments choisis d'une existence, des moments qui définissent Gelda mieux qu'une longue analyse psychologique. Mais qui pourraient tout aussi bien être remplacés par d'autres, tout aussi importants, que nous ne connaîtrons jamais, et que Mme Wendt emportera avec elle. La conclusion du livre est absolument sublime, et nous laisse suspendus entre admiration et émotion devant ces images d'un simple été aussi fugace qu'éternel.


A ce niveau de maîtrise de l'image - ces bleus profonds qui constituent la teinte dominante de "Une vie comme un été" nous donnent envie de nous replonger immédiatement dans le livre, une fois la dernière page tournée - et du récit, on se dit d'ailleurs que la BD est le média parfait pour exprimer des choses aussi difficiles et faire naître en nous des sentiments aussi complexes. Oui, Von Steinaecker et Yelin nous donnent, mine de rien, une belle leçon, aussi bien d'humanité que d'intelligence artistique.


[Critique écrite en 2018]

EricDebarnot
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le 30 sept. 2018

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Eric BBYoda

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