Dans Ushijima, usurier de l’ombre, Shôhei Manabe se livre à l’exploration minutieuse du Japon des déshérités, d’un envers du décor toujours évité par les magazines glamour. Un manga urbain et glaçant.

Ne vous fiez pas aux apparences : malgré son jeune âge (23 ans), son allure de géant amorphe, ses boucles d’oreilles et son immense survêt’, Ushijima est un chef d’entreprise déterminé et réputé dans son domaine. C’est un yamikin. Entendez un usurier qui prête de l’argent à des taux illégaux et très élevés (50 % pour 10 jours !) à ceux qui sont criblés de dettes et ne peuvent plus rien emprunter auprès des organismes officiels. Les personnages les plus divers font ainsi appel à son aide prédatrice : accros aux machines à sous, cibles de maîtres chanteurs, employés de bureau vivant au-dessus de leurs moyens...

Ushijima est un professionnel qui ne fait pas de sentiment : « tu ne dois pas considérer les clients comme des êtres humains. Si tu as pitié d’eux tu ne gagneras jamais d’argent ! » explique-t-il à son apprenti. Expert dans l’art de récupérer ce qu’il estime être son dû, pour lui toutes les méthodes sont bonnes : manipulation, intimidation ou même torture. Si vous ne pouvez pas le rembourser, il s’en prendra à vos proches. Sa seule morale c’est l’enrichissement. Aussi il n’a que faire du sens de l’honneur des yakuzas, ces abrutis qui gaspillent leurs temps en vaines vengeances.

Même s’il donne son nom à la série, les motivations d’Ushijima resteront opaques car c’est plutôt à la psychologie de ses victimes que s’attache l’auteur, prenant bien le temps de nous faire saisir toutes leurs nuances et contradictions. Avec une précision entomologique, il passe en revue les mécanismes de la frustration et de l’angoisse qui conduisent ses personnages à leur perte. Mais Manabe n’est pas seulement un fin observateur des tempéraments humains, son œuvre s’appuie également sur une grande connaissance des rouages de la société japonaise, ce qui lui confère une appréciable dimension documentaire.

Loin de sombrer dans la routine qu’on pouvait redouter (un épisode / une victime), la série rebondit souvent dans des directions imprévues : c’est avec soulagement que l’on voit la mécanique sordide se trouver parfois grippée. Comme une chanson de Lou Reed ou une nouvelle de Hubert Selby Jr, Ushijima n’est pas à mettre entre toutes les mains. C’est une lecture souvent éprouvante et qui pourtant se révèle rapidement indispensable.

Vlad Bapoum

Sur le blog, une notule de 2008, troublante de similitude, preuve que la série se bonifie sans abandonner ses éléments fondateurs.
aaapoumbapoum
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le 20 nov. 2012

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aaapoumbapoum

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