Mangaka encore en forme

En trois tomes, Vie de Mizuki est un manga assez conséquent, mais un manga de la fin de carrière de Shigeru Mizuki. Admiratif de Kitaro le repoussant, manga et animé des années soixante, et puis de Opération mort, manga avec des éléments autobiographiques du début des années soixante-dix, je me faisais une joie de me procurer le manga Vie de Mizuki, et c'est toujours le cas, puisque je mets une note élevée de neuf étoiles après la lecture des deux premiers tomes, le troisième étant déjà réservé pour novembre. Le problème, c'est qu'il s'agit d'un manga tardif qui a débuté en 2006 et il faut avouer que ça se ressent quand même quelque peu à la lecture. Les références historiques sont immédiatement plus lisibles et compréhensibles à la lecture de Vie de Mizuki, mais on y perd la maestria artistique de Operation mort. Il faut noter que la fin du tome 1 et une grande partie du tome 2 racontent différemment le déroulé chronologique de Opération mort, ce qui apporte un complément, des éclairages, mais cela refait le manga de 1972 en moins bien malgré tout. Le récit historique est un peu trop didactique à mon goût tout en étant mal construit. Ceci dit, on a droit à un jeu fellinien sur la narration. L'auteur se dessine lui-même dans les premières cases, puis il fait parler en tant qu'alter ego un personnage clef de Kitaro le repoussant jusqu'à brouiller les dimensions avec une interview en retour de l'auteur par le personnage qui a endossé le rôle de l'auteur un certain temps. On a droit à de nouveaux points de vue, à de nouveaux gags, à de belles planches avec des astuces propres à l'auteur. Le tome 1, je n'ai pas encore lu NonNonBa qui est aussi prévu pour novembre, et donc j'ai plus d'éléments neufs de surprise qu'avec le tome II. Je me régale, mais je sens bien que le génie n'est pas à son plein potentiel et que j'admire des choses qu'il a fait en mieux dans son passé. Ceci dit, je ne boude pas mon plaisir, ça reste de haute volée. L'auteur reste grand, il n'y peut rien si son niveau a baissé avec la vieillesse. Tout de même, le côté fellinien façon Intervista de la narration est un point original et neuf dans la manière de Mizuki, puis je parlais de complément utile à d'anciens mangas, et je peux au moins traiter du rapport à Opération mort. Même s'il y a des éléments autobiographiques, Opération mort est un récit de fiction avec un héros qui ne se confond pas complètement avec Shigeru Mizuki, d'autant plus que les destinées divergent forcément à un moment donné. Cependant, dans Vie de Mizuki, on a donc un personnage à la guerre différent et on apprend crûment le côté rebelle et insoumis que se prête Mizuki, alors que dans Opération mort cela jouait sur l'idée d'une niaiserie involontaire du héros. Il était "je m'enfoutiste", mais il n'y avait pas ce côté frondeur. Dans Vie de Mizuki, le personnage de Mizuki joue un rôle différent et aussi très ambigu, parce que d'un côté on peut le trouver sympa d'être frondeur et de militer contre les principes idéalisés de la guerre, mais d'un autre côté vu qu'il n'est plus le niais maladroit il y a un rôle assez trouble où avec ses conneries irresponsables il est aussi quelque part responsable de la mort de ses camarades quand lui en réchappe. L'insouciance du personnage pose problème à bien des niveaux dans Vie de Mizuki, tant dans l'enfance du tome I que dans la vie sur les champs de bataille du Pacifique du tome II, et c'est d'autant plus sensible que plein des scènes racontées dans Opération mort sont redéployées différemment dans un récit se voulant autobiographique pour Vie de Mizuki. Et je suis loin d'approuver l'auteur dans son récit autobiographique. Je trouve que c'est une personne assez trouble sur le front, même s'il est une victime à plaindre. Qui plus est, le tome I raconte l'enfance du héros que nous n'avions pas dans Opération mort, et on apprend qu'il était plutôt fasciné par l'armée et qu'il était plutôt dans le moule. Ce n'est pas du tout un récit valorisant. Oui, l'auteur se présente comme un cancre éhonté, mais même son parcours est celui d'un gars revenu à l'évidence d'un comportement peu reluisant finalement. Et tout le côté décalé de Opération mort, satire efficace de l'enrôlement militaire japonais d'époque se lit très nettement sous un autre jour dans ce récit autobiographique quelque peu plus dérangeant pour l'image morale de l'auteur...

Je ne parle pas trop de l'esthétique ici, mais elle reste de bonne facture avec bien sûr le choix d'un style d'un autre temps éternel à l'auteur.