Critique initialement publiée sur le site Exitmusik


À côté de son boulot plus traditionnel pour Marvel (citons notamment son long run sur Thor), Jason Aaron semble prendre un malin plaisir à s’essayer aux licences acquises par l’éditeur depuis son rachat par Disney en 2009. On imagine par exemple qu’il a dû bien s’amuser (tout en étant ultra contrôlé) avec le bac à sable que représente l’écriture de la série de comics Star Wars.


Si écrire Conan est un exercice différent en terme d’enjeux et d’attentes, les deux œuvres originelles tiennent une place tout aussi importante dans la culture populaire. Souvent caricaturé et réduit à l’image erronée de barbare simplet, le personnage créé par Robert E. Howard en 1932 est un classique des littératures de l’imaginaire, un des terreaux dans lesquels nombre d’auteurs puisent encore aujourd’hui. Howard est tout simplement le fondateur de l’heroic fantasy et notons que son travail fut apprécié par l’un de ses plus illustres confrères, son contemporain Lovecraft. Le public francophone ne pourra jamais suffisamment remercier Patrice Louinet de lui avoir fait (re)découvrir l’œuvre complète d’Howard dans des versions définitives illustrées et richement documentées disponibles en trois tomes chez Le Livre de Poche.


Autant dire que Jason Aaron s’attaque à une institution sur laquelle d’autres se sont déjà cassés les crayons, le personnage ayant cessé d’exister sous la plume de son créateur après son suicide en 1936. Il a depuis évolué avec plus ou moins de bonheur pour devenir mondialement connu (coucou Schwarzy). Premier constat : Aaron se déclare être fan du personnage depuis ses treize ans et ça se sent. Il maîtrise en effet les codes de l’Âge hyborien dans lequel les aventures du Cimmérien prennent place : sauvages Pictes, bateau hanté, cour d’Aquilonie, mines en Némédie, démons serpents, déserts du Turan, sorcière revancharde… Tout comme Howard, Aaron choisi d’organiser son récit sous forme de chroniques non chronologiques se déroulant à différentes époques bien marquées de la vie de Conan. Cet agencement permet une grande variété de situations, lieux et personnages rencontrés. Loin du comics sombre et empreint de poésie qu’en a par exemple fait l’excellent Kurt Busiek dans son itération du personnage, Aaron prend le parti d’une écriture axée pulp qui est également constitutive de l’œuvre d’Howard. En ressort quelque chose de très fun et facile à lire. Les dessins de Mahmud Asrar participent à cette ambiance : c’est énergique, simplement mais efficacement mis en scène et parfaitement lisible sur les nombreuses scènes de rixes. Notons un épisode très particulier dessiné par Gerardo Zaffino qui laisse penser qu’Aaron pourrait explorer d’autres pistes moins convenues.


Car là réside peut-être la faiblesse de l’ensemble. Si ce tome constitue une lecture des plus agréables et qu’Aaron semble prendre beaucoup de plaisir avec son nouveau jouet, chacune des tranches de vie (et de mort) de Conan tient en un numéro. Ces « chroniques » correspondent au mode d’écriture privilégié par Howard mais une trentaine de page paraît trop peu pour suffisamment développer une histoire. On a en ce sens un peu de mal à imaginer un lecteur non amateur du personnage avoir vraiment envie de lire le deuxième tome. Peut-être conscient de cette limite, Aaron tisse un fil rouge dans son premier numéro qu’il continue de tendre sur quelques pages dans les suivants. Jusqu’ici assez peu développée mais plutôt intrigante, cette trame pourrait donner plus de liant à l’ensemble et mieux convenir au format mensuel du comics.


Marvel avait déjà possédé les droits de la licence entre 1970 et 2000 et le retour dans son giron de cet immense personnage qu’est Conan est jusqu’ici positif. L’entrain de Jason Aaron pour écrire son héros est communicatif, d’autant plus que la dynamique avec Mahmud Asrar fonctionne bien. L’équipe créative fait le choix d’une version lumineuse et colorée du personnage, très pulp dans l’esprit et franchement agréable. Reste maintenant à voir si Aaron parviendra à renouveler une série au fort capital sympathie mais dont l’intérêt en l’état paraît assez limité, et que l’on guettera pour le moment plutôt au détour d’un bac d’occasion.

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le 5 mai 2020

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