Incontournable Manga juin 2024



J'ai toujours un vif intérêt pour les mangas tranche-de-vie, très souvent des seinen ou des josei, les lectorats adultes, car c'est dans ces œuvres qu'on a de réelles opportunités de voir la culture, le quotidien et les enjeux sociaux du Japon, dans un cadre plus réaliste. Ici, j'ai enfin un manga qui traite d'aromantisme ou de frateromance, soit ces zones encore peu nommées qui sont aux frontières de nos conceptions des relations interpersonnelles. Joie!



Kazuomi Arita est fleuriste et Takeda ( dont le prénom n'a pas encore été mentionné) est un professeur de japonais dans une école secondaire. S'ils se sont croisés lorsqu'ils étaient eux-même au secondaire, ils n'étaient pas amis. Quelques années plus tard, ils se croisent au hasard d'une route, alors que Arita venait de porter assistance à un chat mal en point. Dès lors, ils prennent soin du chat ensemble, qu'ils nommèrent "Pépère", en dépit de son sexe féminin. Quand la chatte rend l'âme, plus rien ne semble relier Arita et Takeda, mais de part et d'autre persiste ce sentiment qu'il serait dommage de laisser l'autre se distancier. Ainsi nait l'idée chez Takeda de vivre avec Arita. Ça peut sembler à priori anodin, mais bien vite, pour les gens de l'extérieur, leur situation est hors-norme et il est hasardeux de tenter de la nommer.



Bon, pour les Occidentaux, ces deux jeunes hommes sont des colocataires, il n'y a rien de particulièrement atypique dans ce profil. Néanmoins, quand on explore les motifs derrière leur choix de vivre ensemble, c'est là que originalité ressort. Ils n'étaient pas amis, ni collègues et n'ont aucune activité en commun. Ils ne sont pas non plus des colocataires scolaires. D'ordinaire, ce sont généralement les raisons qui motivent les gens à vivre ensemble. Or, c'est pour des raisons tout autres qu'ont décidé Arita et Takeda de vivre en appartement ensemble. Et si parfois, simplement parce qu'on aime être avec une autre personne, que cette personne semble faire émerger des émotions positives, qu'elle nous fait voir la vie sous un angle plus favorable ou intéressant, et la complicité se fait naturellement, ce peut être intuitif alors de penser rester près de cette personne. Certains diraient que ça relève de l'amitié, et ce ne serait pas faux non plus. D'autres pourraient parler d'une certaine forme d'attirance, mais sans l'aspect sexuel ou strictement physique. On pourrait parler d'aromantisme. C'est ce qui est intéressant à explorer dans ce manga, ces zones un peu floues, platoniques, mais sincères, dénué de superficialité ou de calculs de gains. Takeda n'a pas songer à vivre avec Arita pour réduire la charge financière de leur loyer, mais bien par intérêt pour sa personne.



Je me faisais la réflexion que ces contrastes seraient sans doute plus saisissants au Japon que par chez moi, au Québec, où on ne seraient pas vraiment du genre à trouver étrange que deux jeunes hommes vivent ensembles ( surtout avec la pénurie de logement). Par contre, quand je regarde les motivations, je comprend que c'est là que ça pourrait détonner un peu. C'est en effet rare que des gens qui ne connaissent presque pas choisissent de vivre en appartement autrement que pour des motivations pratiques. Je trouve ça bien inspirant comme histoire, de pouvoir aller revisiter les "couples", qui sont encore trop strictement orientés par l'amour conjugal. Il doit exister bien plus de façon de vivre avec autrui, mais les conventions sociales, souvent bâties sur des dictats religieux et culturels, les ont considérablement restreints, je trouve.



C'est un manga doux, tranquille et restreint à un petit comité de personnages. Arita et Takeda semblent avoir des sphères sociales très limitées, ce qui doit accentuer leur besoin d'être entouré. Parce qu'il est certainement question de besoins dans ce manga. D'une certaine manière, j'ai l'impression qu'ils rattrapent l'occasion raté d'avoir été des amis à l'école secondaire. J'aime que Arita soit un fleuriste, on a encore trop peu de représentations masculines qui sont capables d'êtres doux et poétique, en exerçant un métier encore trop souvent associé aux femmes.



Il y a aura quelques petits divulgâches à partir d'ici.



Quand au graphisme, c'est la première fois que je vois des yeux si peu détaillés, avec des iris qui n'apparaissent pas toujours et qui sont étrangement "liquides", avec des bordures hésitantes et des hachures. Parfois, on n'a que des points en guise d'iris. Ce n'est pas spécialement esthétique, je dirais, et ça donne l'impression que les personnages ont les yeux perpétuellement larmoyants. J'imagine que c'est la signature de la/du mangaka. Et à l'instar du personnage de Naruto, Takeda a des "moustaches" sur les joues et ça me turlupine toujours autant. Je n'ai toujours pas comprit qu'est ce que ces lignes sont supposées êtres sur des joues humaines. Le reste est très propre, les mains élégantes et quelle jolie couverture! J'ai un faible aussi pour Pépère, avec ses mimiques comiques et ses yeux perpétuellement méfiants.



Ce qui me fait penser que Takeda avait une façon de traiter l'intimidation différente de la norme. Étant adolescent, il semblait incapable de laisser passer les situations d'intimidation et a souvent prit des coups en attaquant les intimidateurs. Bon, je sais, la violence, c'est pas beau, mais une part de moi sait aussi que les intimidateurs de sont de parfaits lâches et des minables, qui pensent avoir le droit d'asseoir leur ascendant sur autrui et ils se donnent des raison de le faire. En clair, ce sont des gens sans courage et sans empathie, qui ne comprennent que le langage qu'ils utilisent: la violence. Pire, ils se nourrissent du fait d'être impunis et de ne pas être inquiétés par les autres, témoins passifs et donc, complices. Takeda n'était pas un témoin passif, pour sa part. Il est même devenu une cible. Seul Arita n'était pas d'accord avec cette situation, mais il semblait incapable de le verbaliser. Au moins, il n'a jamais fait parti des intimidateurs et s'est même inquiété du sort de Takeda. Je pense que c'est de cet épisode de leur vie que leur respect mutuel est resté.



J'ai l'impression que Takeda a le courage de suivre ses convictions et d'être plutôt imperméable à la pression sociale et c'est ce qui fait défaut à Arita, qui est plus le spectateur de sa propre vie que celui qui la vit. Pour sa part, Arita est un jeune homme doux, contemplatif et empathique. J'ai l'impression que Takeda avait besoin de quelqu'un dans son genre comme partenaire de vie pour être pleinement lui-même.



J'ai bien envie de voir comment va évoluer leur relation, à ces deux gentils atypiques sympathiques, surtout dans un japon si conservateur à bien des égards.



Pour un lectorat jeune adulte (17-25 ans), mais qui peut très bien convenir au lectorat adolescent (12-17 ans) qui aura envie de s'y plonger.

Shaynning
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Meilleurs Manga, Les BD qui ont changé votre vie, Les meilleurs mangas, Les meilleurs mangas Josei et Mangas: Sujets hétéroclithes et étonnants

Créée

le 17 juin 2024

Critique lue 29 fois

Shaynning

Écrit par

Critique lue 29 fois

D'autres avis sur Vies d'ensemble - Au-delà des mots, tome 1

Du même critique

Un palais d'épines et de roses
Shaynning
1

Glorifier la violence sexuelle par Maas

Ce roman est CLASSÉ ADULTE, ce n'est pas un roman pour jeunes adultes, encore moins pour les ados et compte tenu de la présence de relation toxique, de violence sexuelle gratuite et d'objectivisation...

le 29 mai 2020

5 j'aime

Heartstopper
Shaynning
6

Critique de Shaynning

Cette Bd, qui a un format de roman, donne le ton dès sa couverture: deux gars qui sont appelés à se rapprocher malgré des looks plutôt différents. Même les couleurs illustrent d'emblée la douceur de...

le 25 févr. 2023

4 j'aime