Qu'une chose soit claire d'emblée: j'admire -et admirerai probablement toute ma vie- le travail d'Alain Ayroles et Jean-Luc Masbou.
Ayroles, au scénario, ne cesse de revisiter avec succès des époques diverses et variées, ce qui fait que toutes les bandes dessinées qu'il écrit se ressemblent sans se ressembler: on ressent sa patte, son amour pour la littérature, les bons mots, et les histoires bien menées. À qui lirait cette critique, je conseille donc forcement d'aller découvrir Garulfo et D, deux séries (terminées, en 6 et 3 tomes) où il collabore avec le très bon dessinateur Bruno Maïorana.
Le trop rare Masbou n'est pas en reste: chacune de ses cases est un délice visuel, d'abord parce que c'est beau, et ensuite parce que ça fourmille de petits détails amusants qui rendent la relecture, la re-relecture et toutes les lectures qui suivront toujours intéressantes. Son style qui, dans les deux premiers tomes de De Cape et de Crocs, était encore parfois hésitant, a maintenant atteint un certain degré de perfection.
Donc, ça s'annonçait bien.


Mais qu'est-ce qui a bien pu se passer pour créer chez moi, une fois le onzième tome refermé, une telle déception?


Eh bien si l'on compare ce tome au tout premier tome de la série (ce qui est fondé après tout, ce sont deux commencements), plusieurs choses sautent aux yeux:
- Le tome 11 est certes plus beau, mais mon dieu, qu'est-ce qu'il est vide! Les détails croustillants, les petites blagues en fond de case, les jeux de mots et références cachées au détour d'une phrase semblent s'être volatilisées en même temps que Messieurs de Maupertuis et de Villalobos y Sangrin.
- Eusèbe, qui était un excellent personnage secondaire, est un bien faible personnage principal. Pourquoi? Parce que ce tome (et celui qui suivra) s'évertuent à le priver de son meilleur atout: son secret. Le 'running gag' de De Cape et de Crocs a toujours été l'impossibilité pour Eusèbe de raconter son histoire apparemment abracadabrante, pour deux raisons majeures: personne ne le prend au sérieux quand il commence à raconter, ou bien il finit par se faire grossièrement interrompre par quelque péripétie. Or là, les auteurs entreprennent de nous conter cette histoire, et là encore c'est la débandade: Eusèbe devient un jouet des éléments, les péripéties sont poussives et particulièrement prévisibles (cf le pseudo-cliffhanger à la fin de l'album) et les personnages sont particulièrement caricaturaux et/ou inintéressants, notamment les méchants (sauf Colbert. Colbert, il est cool).
- Sans prévenir, dans un monde où, durant 10 albums, nous n'avons vu que 4 personnages d'animaux anthropomorphes (les deux héros, Eusèbe et le cochon des pirates), les auteurs nous en balancent 4 nouveaux en un album (le frère d'Eusèbe, le singe, Colbert et Montmorency). Et je ne sais pas pourquoi, mais ça m'a embêté (sauf pour Colbert. Colbert, il est cool).


Voilà donc, pour moi, un excellent exemple d'une série qui aurait dû savoir s'arrêter avant. Et aussi de pourquoi il n'est pas forcément nécessaire de dévoiler tous les secrets des personnages: je sais, c'était pour faire durer le plaisir, mais dans une série qui faisait la part belle au pouvoir de l'imaginaire, n'aurait-il pas mieux valu laisser une petite place à celui des lecteurs?

Ruhenheim
5
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le 10 sept. 2015

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