En voilà une heureuse découverte.
Ma compagne aime s'occuper du jardin. Parfois, elle va à des 'trocs de plantes' : les gens viennent avec des graines, des boutures voire des plantes entières et les donnent tout en farfouillant chez les autres pour voir s'ils n'ont pas des trucs qui les intéresseraient. À une de ces réunions, ma compagne a entendu parler d'une bibliothèque qui allait liquider tous ses bouquins. Je cherche les renseignements concernant cette bibliothèque, j'apprends que la liquidation n'aura lieu que les samedi et dimanche du mois de mai, 50 cents le bouquin. Je m'attendais à acheter des romans, j'avais fait ma petite liste. Je débarque devant le bon numéro le dimanche premier mai avec la crainte que ce jour-là ne compte pas vu la date... je tombe sur une porte close d'une bâtisse assez imposante. On m'ouvre au bout de 3 minutes : en fait je me suis trompé de porte, c'était un couvent. Faut dire que la bibliothèque est située dans la cour de ce couvent, à gauche, mais que rien n'est fléché. Et là, Bingo, c'est ouvert. Dès mon premier pas dans la bibliothèque, je tombe sur des BD. Des trucs qui m'intéressent moins. Et puis des trucs où je me dis : je sais pas si ça va être bon, mais je vais tester. Et aussi des trucs où je me suis dit : chouette même s'il n'y a pas le tome 1 ou 2.
"Virage Dangereux" appartient à la deuxième catégorie : je connaissais pas le bouquin, ni l'auteur. Le format et la couverture m'ont donné envie de feuilleter. J'ai fait ça vite fait. Je craignais que ce ne soit un truc pédagogique sur la sécurité routière mais je me suis dit, allez pour 50 cents et au pire ça peut être rigolo d'avoir une BD sur la sécurité routière.
En fait, c'est un petit polar de campagne. C'est vraiment pas mal. L'auteur présente une petite communauté, des personnages, c'est mignon tout plein, avec de l'humour, et puis, petit à petit, il insère une trame, une intrigue policière. Avec pas grand chose hein, ça reste un mystère de campagne, y a même pas de cadavre ni rien. Mais l'auteur parvient malgré tout à mettre en place un récit prenant, poussant le lecteur dans une quête de la vérité. Les petits conflits sont bien rendus, prennent beaucoup de place alors qu'ils ne sont que des petits conflits de tous les jours (le genre de conflit que je préfère, j'avoue). Il évite également l'écueil misérabiliste malgré un aspect social appuyé : c'est grâce à l'humour que ça passe si bien.
Les explications de fin aussi passent assez bien. Sans doute parce que cette intrigue n'occupe pas toute la place, que l'auteur n'en a pas fait trop au sujet des mystères, du coup, ça ne paraît pas trop tiré par les cheveux comme dans bon nombre de polars. Et puis, ce n'est pas 'juste' une histoire policière, ça parle de gens, on sent des convictions, des messages transmis au travers de cette histoire.
Graphiquement, c'est du moche dessin. Mais c'est fait rigoureusement, c'est constant. Maîtrisé même. Et puis c'est simple. Simple et efficace. L'auteur met ce qu'il faut de détails pour rendre ses pages vivantes mais évite ce qui rendrait la lecture pénible ou difficile. Il parvient à rendre crédible des perspectives faussées, des bâtiments qui semblent ne pas tenir debout juste parce que tout le contexte marche : on trouve une cohérence entre les personnages et les bâtiments. J'amie beaucoup son trait simple, brut, jeté presque. Et puis ses ombrages, parce qu'ils ne gênent jamais à la lecture : pourtant, c'est balaise de réussir des masses de noir avec des traits si fins, ça peut très vite baver.
Le découpage est bon aussi. L'auteur ne perd pas de temps. J'aimerais être capable de mener une histoire aussi rondement, sans perdre mon temps avec des cases inutiles. C'est très classique bien sûr, mais vu le sujet, vu l'époque à laquelle c'est sorti, vu le style graphique, l'auteur aurait très bien pu tomber dans le travers popularisé par Trondheim, Larcenet et toute leur clique, à savoir répéter les mêmes cases pour provoquer un gag facile.
Bref, j'ai passé un bon moment avec cette BD... le problème c'est que j'aimerais trouver d'autres BD de cet auteur dont j'ignorais totalement l'existence jusque là...
PS : j'ai parlé un peu à la vieille femme qui gérait la bibliothèque : apparemment la décision de tout vendre à 0.50€ vient d'un supérieur hiérarchique. C'est vrai que c'est bizarre de trouver des bouquins dans de si belles reliures à un prix si dérisoire. Ou des dictionnaires. Ou des grosses BD (imaginez j'ai chopé les deux premiers tomes de "Le sommet des Dieux" pour un euro !). Elle m'a dit que la bibliothèque avait 90 ans, qu'elle était une des premières publiques de la région, qu'elle dépendait du couvent et que ça faisait 40 ans qu'elle travaillait là-dedans. J'y retournerai peut-être un prochain week-end si je trouve le temps, au cas où j'aurais raté quelque chose ...