Vous souhaitez lire des mangas de cuisine convaincants et prenant ? Pour ce faire, il vous faudra lire des mangas dont l’aspect culinaire ne sera qu’incident ; accepté comme un corollaire de l’œuvre plutôt que sa thématique centrale et exclusive. Mes papilles devant le papier n’auront papillonné qu’à l’occasion d’un Golden Kamuy, d’un Chûkan Tanriku Tonegawa – durant les épisodes dédiés – et plus encore durant Gloutons et Dragons. Et c'est sans compter Dragon Drifters dont la critique vous parviendra bien assez tôt.
J’ai appris, à force de me prendre les pieds dedans, que ces mangas de compétition culinaire, s’ils avaient à l’origine – et à l’origine seulement – le goût du spontané et de l’original, ça ne valait que pour une fois. Il y a ce qu’on pourrait appeler une catégorie à part entière de mangas tournés vers les fourneaux. Une catégorie de niche aux codes très franchement étriqués, au point en tout cas où chacune s’avère être un parfait décalque de la précédente.
Les plus jeunes – peut-être, je suis plus dans le coup à supposer que je le fus un jour – connaissent ce registre à travers Food Wars. Les personnages sont transparents, enchaînent à la suite des concours culinaires, et les réactions des protagonistes, pour nous suggérer le goût à travers la dramaturgie, sont exagérées jusqu’aux confins de l’absurde. C’est une série B, il ne faut rien en attendre de plus qu’un petit divertissement occasionnel. Mais que la série – sans jamais se renouveler dans ses arcs narratifs copiés et collés de l’un à l’autre – persiste des années et, comble du culot, fasse des petits dans les maisons éditoriales, a comme un parfum de scandale.
Yakitate!! Ja-Pan est donc un proto Food Wars, sans avoir au moins le mérite d’être le premier manga du genre. Oh que non. La disgrâce – car c’en est une à force qu’elle se répéta si souvent – date des années 1980, voire même dix ans avant si l’on s’affaire aux fouilles archéologiques remontant à Cake Cake Cake (ne prononcez pas trop vite à voix haute). Le plus fameux, le plus fumeux même, aura été Mister Ajikko, sorti en 1986, diffusé chez nous comme Le Petit Chef. Vous connaissez ? Plus besoin de lire Yakitate !! Ja-Pan, la recette est la même. On ergotera et on tortillera du cul ici et là pour vous soutenir que l’assaisonnement varie un brin, mais à moins d’être un fin gourmet, la pitance a franchement le même goût.
Mais pour peu qu’on soit nouveau à s’essayer aux mangas, on pensera à de la nouveauté. Chaque génération qui vient a ainsi droit à son manga culinaire pour correspondre à la période où elle consomme indiscriminèment les mangas qui lui passent à portée de bec. Mais qui a un regard porté sur plusieurs décennies et ne se contente pas des parutions lui étant contemporaines verra bien que ça s’est fait, que ça s’est re-fait et que ça se sera sur-fait. Les mangas de concours culinaires sont préparés, régurgités, re-dévorés, cramés puis resservis réchauffés à des néophyte s’imaginant gourmets alors qu’ils ne seront que gloutons. On nous ressert littéralement la même chose tous les cinq ans au moins. Il y a de bonnes variations inhérentes au genre, fort heureusement, mais dans l’ensemble, le contenu sera exactement le même que ce qui se sera fait précédemment. Si vous cherchez à faire fortune, optez pour avocat au Japon, il y a un filon qui n’attend que vous dans le milieu du plagiat caractérisé.
Vous n’avez pas lu Food Wars, ce qui l’a suivi ou ce qui l’aura précédé, venez donc ici que je vous affranchisse. Le personnage principal est un jeune garçon débordant d’enthousiasme et de passion pour son domaine culinaire, ici, le pain et tout ce qui tient aux pâtisseries et viennoiseries. La boulange, quoi. Il multipliera des concours culinaires face à des adversaires pas possible, avec de l’humour lourdingue et des réactions capillotractées, mais finalement redondantes à force que le schéma narratif se répète inlassablement.
Et après ? Ah mais, c’est tout. Et comme ça pendant des dizaines de tomes. T’achètes ? Bien sûr que t’achètes. T’achètes tout ce qui passe de toute manière, couillon de lecteur.
Si au moins les personnages – bien que mal écrits – avaient au moins un peu de cachet. Un semblant de charisme qui nous les rendrait sympathique. C’était apparemment la volonté de l’auteur, mais ses moyens créatifs, déficients au dernier degré, l’ont cependant réfréné comme jamais. Nous aurons donc droit à Matsushiro Ken et Pierrot Bolneze comme fausses figures excentriques récurrentes. Ils m’auront rappelé, dans le principe, le personnage d’Abidani dans Gamble Fish, manga analogue en ce sens où il n’est qu’une succession de compétitions similaires.
Tout, dans le déballage de la mise-en-scène, y sera expansif à l’excès pour la seule forme, maintenant un flot continu de cris d’extase et de fausses surprises autour de pâtisseries nous apparaissant bales. Il s’en sera trouvé un, de ces mangas culinaires, pour poser la tendance jadis, et tout un ramassis de coprophages derrière, disposés à prolonger le centipède humain, auront poursuivi le drame.
La recette a fait florès une fois, alors on nous la cuisinera jusqu’à ce que nous soyons repus, quitte à ce que la digestion se confonde avec une occlusion intestinale. Le souci étant, je le répète, que le registre de compétition culinaire revient en grâce à chaque nouvelle génération de lecteurs venus s’égarer dans le paysage Shônen, et pourtant, c’est du réchauffé ; du carbonisé qui vous suggère aucun appétit après qu’on vous ait gavé de la même pitance infecte. Peut-être le contenu peut-il faire illusion aux yeux d’un néophyte, mais jamais longtemps. Si l’on a connu Le Petit Chef, alors on lit une suite qui ne s’en inspire pas, mais reprend jusqu’au moindre élément pour prolonger la rente éditoriale passée d’un auteur à l’autre.
Mais pire que tout ; malgré tout ce qu’on lit ici, l’œuvre vous dégoûterait presque de la pâtisserie. L’enrobage excessif de la mise en scène vous détourne de la cuisine pour seulement encenser la compétition, si bien que les mets sortis du four ne nous évoquent rien. D’un manga sur les pâtisseries et viennoiseries, on ne retiendra pas une seule création culinaire, chacune d’entre elles se laissant obscurcir derrière l’ombre des agitations stériles peinant à tenir l’œuvre debout par la seule force du souffle généré depuis leurs gesticulations.
L’aspect humoristique et frénétique qu’on nous présente n’a rien de drôle. Il est simplement agité et bruyant. Bobobo-bo-bo-bobo œuvrait dans ce même registre comique, mais avec ce qu’il fallait de contenance et d’habileté scénographique pour que ce rythme instauré soit mis au service des gags. Ici, le principe du comique se veut sans humour ajouté, c’est assez gênant à lire en ce sens où on ne sait trop quel effet la narration doit nous suggérer.
Et puis cette fin. L’auteur eut-il voulu mieux nous crier qu’il n’en avait rien à foutre qu’il ne serait jamais parvenu à se rendre plus audible. Mais d’une œuvre qui se sera commise sur plus de deux-cents chapitres sans contenu aucun, il ne fallait pas espérer un sursaut soudain à la toute fin de parcours.
Sans originalité, ni audace ni un quelconque aspect créatif que ce soit, Yakitate!! Ja-Pan est simplement venu rançonner ses lecteurs après que la formule éditoriale ait brassé des millions chez d’autres avant lui. C’est pas un manga, c’est un braquage à pain armé, un qui ne vous ouvrira pas l’appétit d’une part, et vous fera sûrement rendre le contenu de votre estomac afin que vous puissiez judicieusement vomir dessus.