Pourquoi pratiquons-nous le yoga ? Pourquoi suivons-nous les ordres et les conseils d’un.e coach nous exhortant à nous plier en trois sur notre tapis tout en expirant profondément ? Et cette pratique qu’on appelle « yoga », est-ce vraiment du yoga, dans le fond ? Ou une manière nouvelle de vendre des séminaires ou des cours bien chers à des femmes (surtout) occidentales en quête de sens ou d’un ralentissement ? Ce sont ces questionnements qui ont guidé Jeanne Burgart Goutal, appuyée par les dessins d’Aurore Chapon.
La philosophe Burgart Goutal s’est inspirée de dix années de sa vie dans le yoga pour tenter de démêler les fils de cette pratique millénaire. Tout au long de l’ouvrage, elle y expose les contradictions et les paradoxes (« lâcher prise avec rigueur »), et les 1001 façons de faire du yoga ou de se dire yogi. Très riche, on plonge dans les racines indiennes du yoga et même plutôt des yogas, tant ces racines sont nombreuses, ces voies innombrables.
Le chemin est nébuleux, Goutal fait part de ses joies, de sa confusion et de ses recherches intimes. Elle part en Inde, découvre la dangerosité d’un certain yoga « tendance secte », partage sa vie avec un yogi adepte du tantrisme. Ce voyage se fait avec beaucoup d’humour et de remises en question (ah, la rationalité occidentale qui ne nous lâche pas), grâce aux échanges entre l’héroïne et son esprit cartésien incarné par un singe qui essaie tant bien que mal de la sortir de là.
Yoga Shalala est très dense, parfois peut-être trop. Il aurait pu être diviser en plusieurs tomes, tant le désir des autrices d’exprimer toutes les contradictions internes de cette pratique envahit parfois les pages plus qu’elle ne les embellit. Les dessins d’Aurore Chapon aurait mérité d’ouvrir encore davantage l’espace de l’imaginaire, en créant des plages de vide permettant à l’esprit de se reposer. C’est une BD très intello, pour le dire platement, mais d’un intello qui ne se prend pas au sérieux, contrebalancé qu’il est par l’ésotérisme, les couleurs et les formes des dessins de Chapon, qui sentent l’encens et le patchouli. Une forme d’hypnose se dégage, comme une porte d’entrée dans un « univers sans Ego ».
Nous n’aurons pas toutes les réponses (peut-être même que nous n’en aurons aucune), Goutal n’est pas philosophe pour rien. Mais elle interroge, questionne, cherche. Elle lit, vit, fait l’amour. Éco-féministe, elle réfléchit concrètement à comment le yoga permet, sous certaines formes, en mélangeant les influences, en remettant en question les acquis et le gloubi-boulga néo-hippie, de développer d’autres manières d’être au monde, avec soi-même et avec le monde qui nous entoure.
Critique publiée le 16 août 2024 sur le Suricate Magazine : https://www.lesuricate.org/yoga-shalala-maitres-yogi-et-lady-yoga-ga-ga-ga/