Après avoir connu son premier échec en laissant échapper une de ses proies humaines, le trop célèbre comte Zaroff s'est retiré dans une île au large de l'Amérique du Sud. Mais voilà que, mise au courant par la publicité du rescapé miraculeux, la fille mafieuse d'une de ses anciennes proies, véritable psychopathe dans l'âme, décide de venir venger la mémoire de son père... Entre les deux monstres, un duel à mort s'engage.
Faire revivre ce personnage détestable et fascinant n'était pas chose aisée, mais Sylvain Runberg a trouvé un excellent point de départ, permettant de renouveler les bases du scénario original tout en perpétuant l'univers dans la grande continuité de ce qu'instaurait le film de Pichel et Schoedsack. Cette idée d'opposer au général Zaroff une autre psychopathe permet de mettre en scène un nouveau duel où, cette fois, il devient difficile de déterminer qui, des deux adversaires, est la proie et qui est le chasseur.
Les personnage sont très bien dessinés, et surtout très nuancés, par leurs actes et leurs dialogues, joliment écrits. Ainsi, Zaroff se découvre une âme en étant obligé de sauver la famille de sa sœur, mais pour autant, il ne devient pas un "gentil". Cela reste un psychopathe, un chasseur qui aime le goût du sang, mais au fond duquel sommeille toutefois un homme loyal. Heureusement, le scénario nous offre donc également les personnages de la sœur du général russe et de ses enfants, auxquels on aura moins de scrupules à s'attacher qu'au personnage principal.
Le récit est raconté sur un ton très réaliste, et prend le temps de développer chacune de ses péripéties, malgré quelques raccourcis narratifs vraiment pas méchants (genre la civière qui surgit de nulle part sans précision d'une quelconque ellipse temporelle ayant permis sa confection). Ainsi, la crédibilité est de mise dans ce duel entre deux esprits tout aussi tordus l'un que l'autre, à la fois terrifiants et envoûtants.
Surtout, le récit est parfaitement servi par le dessin de François Miville-Deschênes, d'une précision ahurissante et donc d'une beauté stupéfiante. Vraiment, chaque case est un pur plaisir à regarder. J'aime rarement quand le dessin est hyper-réaliste, mais ici, Miville-Deschênes réussit à faire quelque chose de très fluide. Notamment, l'alchimie entre les personnages et les paysages (élément essentiel dans les histoires mettant en scène le comte Zaroff) est admirable, il n'y a pas le côté trop statique qu'on trouve souvent quand le dessin essaye d'être trop réaliste. Ici, pas un trait en trop, l'équilibre est parfait ! Seul (très) léger reproche : il est peut-être un peu trop propre par rapport au ton du récit. Quand ça devient vraiment sanglant, on a parfois un petit peu de peine à ressentir l'impact d'une blessure ou d'un coup de griffe. Ou encore le visage blessé du général Zaroff est bien trop lisse par rapport à ce à quoi on aurait pu s'attendre. Mais bon, ça n'entame pas la qualité incroyable du dessin.
Ainsi, alors que le pari de reprendre la nouvelle initiale et le film de 1932 avec la même intensité semblait perdu d'avance, Runberg et Miville-Deschênes réussissent pourtant à créer un résultat à la hauteur des œuvres initiales. Rien n'est édulcoré, aucun élément de base n'est trahi, et la continuité est parfaitement entretenue jusqu'à une conclusion qui sait être sombre sans l'être à l'excès. Une conclusion qui résume parfaitement l'esprit de cette bande dessinée : ne rien trahir, trouver le juste équilibre.
Clairement, c'est une mission accomplie pour les deux auteurs !