Zipang
7.8
Zipang

Manga de Kaiji Kawaguchi (2000)

Sabordez le Yamato, on a trouvé bien mieux. Zipang, c’est depuis ma prime jeunesse que l’œuvre me faisait de l’œil, quand, en CM2 – car je suis allé jusqu’en CM2 – je regardais la sélection kana au dos de mes Naruto. Et je vous parle d’un temps où Naruto en était au tome 16 en France ; lorsqu’il n’était pas encore connu en France. Ça remonte. Eh bien ce qui remonte plus encore, c’est Mirai, ce vaisseau sur lequel ont embarqué notre bataillon de protagonistes et qui, au gré d’un orage surnaturel – faut bien ça pour introduire le concept – a remonté le temps. L’idée est très bonne, mais j’ai connu des précédents qui, de cette même idée, ont abouti à une exécution sommaire ; au sens propre comme figuré.


Y’a du Taniguchi dans le texte. En plus nerveux bien sûr – le contexte y prédispose grandement – mais avec en plus un style graphique résolument analogue. Des visages relativement peu expressifs, assez bienveillants dans ce qu’ils dégagent, paisibles surtout, on s’y croirait. On y retrouve aussi un semblant de trait – lui aussi inspiré de Taniguchi – de ce qu’avait été Naoki Urasawa à ses débuts sur le plan du dessin. On sait alors, et bien assez tôt, qu’il n’y aura, dans la scénographie, aucun effet tapageur. La guerre ici ne s’écrira pas en musique dans la débauche et l’allégresse, mais avec ce qu’il faut de minutie dans la plume pour nous faire maudire jusqu’à la moindre torpille. Le rendu, ainsi, a vocation à être réaliste sans jamais virer dans l’excès.


La guerre y est superbement restituée. Les phases d’action – fatalement nombreuses – sont portées à notre regard avec méthode et intelligence. On s’y sent immergé dans ce conflit et ce, d’autant mieux que la documentation y est remarquablement étayée. Bataille de Midway oblige, l’auteur a mis le nez dans les livres d’histoires ; il y a même mis tout le reste, jusqu’à son âme, pour donner lieu à un contexte qui en devient alors si crédible qu’il en est perturbant. La première apparition du Yamato nous apparaît comme aussi une vision aussi réaliste que terrifiante. C'est sans doute ce qu'ont dû ressentir les Américains en le voyant arriver dans le Pacifique. Ça vous grise son homme, croyez-moi sur parole.


Un bâtiment de guerre moderne au milieu d’une bataille de plus d’un demi-siècle auparavant, ça fait la différence. Et de cette différence, Zipang en fera une force ; celle qui pourrait changer le cours de la guerre du Pacifique. L’histoire est là, la réalisation tout autant pour mieux paver sa route le temps d’un séjour de lecture agréable… il y avait matière à en faire une adaptation filmique de ce manga. Une qui fut coûteuse, une qui fût potentiellement polémique – nous y reviendrons – mais une qui aurait gagné à s’exporter partout dans le monde du fait qu’il s’agissait d’une très bonne idée excellemment orchestrée par ce que commanda le scénario.


Le Mirai, plutôt que d’appuyer l’effort de guerre japonais de l’époque, s’imposera presque comme un juge de paix au milieu de deux puissances venues semer les carcasses dans l’océan. Pas même une once de manichéisme sera à déplorer. Les Japonais ne sont présentés ni d’un œil bienveillant – ils feront même figure d’antagonistes – ni comme des fanatiques intégraux et ce, bien qu’ils en prendront le chemin comme cela fut le cas en d’autres temps. Les Américains ne seront quant à eux pas présentés comme des « Yankees » agressifs et stupide, mais comme des soldats venus accomplir leur devoir après une déclaration de guerre pour le moins mémorable. Taylor et Kusaka seront chacun des personnages entiers introduits comme les porte-étendard de leur nation respective dans le manga.


Mémorable, cette déclaration de guerre, elle le fut. Il y aurait tant à dire sur celle-ci qui, en réalité, fut antérieure à l’attaque de Pearl Harbor, bien que délibérément et spécieusement retardée par le diplomatie américaine afin de se faire passer comme victimes bien qu’ils furent ceux-là même qui, en premier, avaient gelé les avoirs du Japon… constituant alors un casus belli officieux. Sur ce point, l’auteur n’y reviendra pas dès lors où il nous plongera la tête la première au milieu des eaux sanglantes de Midway… mais on ne crache jamais assez sur les Américains. Ce que ne fera pas Kaiji Kawaguchi en écrivant son œuvre afin de ne pas être partial ou injuste. Il y a de la mesure dans son écriture et jamais sa main ne tremble quand le stylo parcourt le script.


Les personnages, s’ils ne m’ont pas franchement marqué, sont eux aussi correctement portés à notre attention. Il y a du Taniguchi partout, et il y en a beaucoup en eux. Ils ne sont pas flamboyants ou excessifs, mais humains et mesurés. Certains, trop habitués aux éclats indus dans les mangas, les trouveront fade quand, en réalité, eux aussi nous parviennent avec minutie. Du reste, la distribution des personnages est copieuse et les occasions de mourir en temps de guerre étant légions, quelques déchirements nous attendront. J’admets cependant que la pondération de leur caractère me les a rendus assez quelconques si bien que je n’en ai retenu aucun ; mais tout lecteur ne de Zipang parviendra pas nécessairement à la même conclusion.


Toute l’intrigue n’ira pas se perdre sur le pont du Mirai ; la bataille de Midway ne fut pas exclusivement navale. Le contexte politique, bouleversé par la seule intrusion d’un élément perturbateur venu des années 2000, est lui aussi brossé et soigné pour l’occasion. Bien assez tôt, la bombe atomique est sur toutes les lèvres. L’équipage du Mirai ne pouvait pas ne pas évoquer ce qui adviendrait au terme de cette guerre et, plutôt que d’intimer les Japonais à œuvrer pour une résolution pacifique, cette annonce les encouragera à concevoir leur propre bombe A, devenant plus tard l’enjeu de Zipang.


La mise en scène, elle est sobre, on ne le dira jamais assez. C’est à mettre au crédit de l’œuvre, mais pas uniquement. Car comme pour les œuvres de Taniguchi, la lecture de Zipang souffre de ce défaut qui ne l’est qu’à moitié, qui consiste à scruter un récit mesuré, maîtrisé… mais figé au point d’en être glacé avec, en nappage insipide, son lot de personnages assez plats malgré ce qu’ils ont de consistance à l’écriture. La modération, en certains circonstances, tient peut-être du vice et même d’un manque d’ambition. Je ne le reproche pas à l’auteur qui, s’il avait violé cette scénographie, aurait donné lieu à énième un spectacle outrecuidant et ridicule. Cependant, avec une telle maîtrise de la mise en scène, au point où celle-ci paraît ligaturée, Zipang s’arrête à son fond sans trop chercher à se manifester ou se distinguer par la forme. Zipang, c’est un manga qu’on aime, mais ça n’est assurément pas un manga qui nous fascine. Pas par-delà son écriture en tout cas. Écriture qui, bien que rondement menée, n’est pas non plus spectaculaire au point d’avoir de l’emprise sur votre rythme cardiaque. Ça mène ça barque, ça le fait bien, mais ce seul fait ne saurait être tenu pour un haut-fait malgré ses mérites.


La fin n’est pas décevante bien que prévisible à certains égards. Elle pourrait être polémique en ce sens où l’auteur, par cette conclusion, délivre selon lui quelle serait la situation politique et militaire idéale du Japon à son époque. Sans bellicisme furieux – car il n’est certainement pas coutumier du genre à en lire son œuvre – celui-ci vomit sans le dire une constitution pacifique qui ne contribue à faire du Japon qu’un laquais Américain. Il y a une réflexion politique derrière Zipang, et elle n’est ni vaine, ni envahissante dans le récit : rien à redire de ce côté-là. Je déplore simplement un coup de baguette magique qui, à la toute fin, rend certains éléments tragiques plus anodins qu’ils ne l’étaient finalement. Qu’on se le dire cependant, il n’y aura pas de quoi bouder son plaisir malgré quelques menues réserves qu’un pisse-froid de mon engeance puisse avoir. Zipang nous transporte, mais jamais, à mon sens, il ne nous emporte. Là est peut-être mon principal grief à faire valoir. Un reproche bien maigre à opposer à une œuvre bien dense, mais un reproche dont vous ne pourrez pas faire l'impasse à la lecture.

Josselin-B
6
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le 6 août 2024

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Josselin Bigaut

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