Skyfall et Spectre. Pile ou face. Dernier James Bond en date qui a la lourde tâche de prendre la suite du ténébreux Skyfall, Spectre décide de s’inscrire dans la continuité. Continuité paranoïaque dans un monde à la technologie omniprésente, ce James Bond vieillissant et plein de stigmates mais à l’élégance inépuisable voit le futur des 00 s’assombrir et son passé resurgir avec toutes les questions que cela implique. L’équation en elle-même parait alléchante, surtout que Sam Mendes reprend du service derrière la caméra, malgré l’absence conséquente de Roger Deakins et de ses éclairages flamboyants. Et Spectre commence sous de bons auspices (excepté ce générique d’une laideur inexplicable), avec un plan séquence à Mexico parfaitement adroit dans sa construction qui précède une baston en hélicoptère un brin poussée mais exaltante.
L’ambiance visuelle est là, et Sam Mendes a presque la bonne idée de faire côtoyer Spectre avec les fantômes du film noir par la présence de la vénéneuse Monica Bellucci, incarnant une femme fatale veuve, menacée par une organisation secrète à la densité grandissante. Et on se dit que Spectre tient sur de bons rails. Sauf que, la suite de la démonstration sera d’un autre acabit. Au détriment du film, qui se délitera de minutes en minutes. Son manque d’incarnation palpable (mis à part Ralph Fiennes), son image monochromatique, ses problèmes de rythme pour une œuvre tirant trop en longueur (2h30 pour rien approfondir de concret, c’est du grand art), ce James Bond là peinera à briller, notamment à cause de la léthargie de ses scènes d’actions, faisant de Spectre un bien faible objet de divertissement quand on connait la concurrence (la bande à Tom Cruise). Exemple flagrant avec cette séquence de course poursuite à Rome à l’intensité presque dissoute, et qu’on le croirait tout droit sorti d’une pub pour Mercedes ou de la dernière bande annonce du dernier Gran Turismo. Spectre s’est vu trop grand, a cru bon vouloir tirer ses cartouches de tous les côtés sans viser juste.
Spectre est une oeuvre malade, mais dans le mauvais sens du terme, et n’arrive jamais à prendre le pouls de ses objectifs et surtout, dans ses enjeux et motivations qui peuvent paraitre dérisoires (l’explication de Waltz vaut son pesant de cacahuètes). Chahuté, Sam Mendes s’emmêle les pinceaux dans cette quête du film monde (Tanger, Rome, Londres, Mexico, Autriche…), construisant un monstre au pied d’argile qui avance aveuglé, souffle le chaud et le froid et ne sait pas où se mettre à l’instar de son protagoniste principal. Que faire de Spectre : film suite ou one shot se suffisant de lui-même, ambiance suffocante ou humour détaché, hype de films de super héros ou James Bond old school, épure de l’action ou gadgets high Tech explosifs (scènes de tortures, aussi parodique qu’un sketch du Palmashow), passé contre futur, politique ou jeunesse, famille ou amour naissant, travail en équipe ou la jouer loup solitaire, Sam Mendes en perd son latin et ne sait pas quelle recette concocter. Il accouche d’une œuvre creuse et d’une vanité désastreuse, succombant à un scénario sans panache et fourre-tout.
Cette profusion de pistes rendra l’ensemble ambigu, sans attache première, entre géopolitique de comptoir (malgré la triste actualité de ses thèmes sur l’ultra sécurité face à la démocratie et le conservatisme des systèmes des services secrets) et sentimentalisme écœurant (Léa Seydoux catastrophique), ne sachant pas s’il faut regarder dans le rétroviseur ou devant soi. Ce qui fera que le film ne trouvera malheureusement jamais sa personnalité propre, trop concentré à vouloir d’un côté, saisir l’essence sombre et souffrante de Skyfall (effet The Dark Knight) et de l’autre, s’amuser de la nostalgie de l’ironie cheap de la mythologie James Bond, rendant ce dernier un peu plus chaleureux et futile. Mais terne.