Xu Hao-Feng est à la base un pratiquant d’arts martiaux qui, dans les années 2000, s’est tourné vers la littérature. Après le roman biographique The Bygone Kung Fu World en 2006 qui s’écoule à plus de 300000 exemplaires, il enchaine en 2007 avec Monk Comes Down the Mountain, un nouveau succès qui sera d’ailleurs adapté au cinéma en 2015 par Chen Kaige. Mais Xu Hao-Feng a des envies de cinéma et en 2012, il réalise ses deux premiers films, Judge Archer et Sword Identity (ce dernier est sorti chez nous en blu-ray). L’année suivante, il signe le scénario de The Grandmaster de Wong Kar-Wai et revient à la réalisation deux ans plus tard avec The Final Master. Après un The Hidden Sword (2018) compliqué à voir car n’ayant pas passé la censure chinoise, son dernier film en date, 100 Yards, qu’il réalise avec son frère Xu Jun-Feng, marque les esprits, en bien ou en mal. En bien car 100 Yards s’est construit une jolie petite réputation en festival (Fantasia, Sitges, Toronto, …) mais aussi auprès des fans de cinéma martial. En mal car le film est un échec en Chine où le film est boudé à cause de son interprète principal, Jacky Heung, que les chinois ont décidé de bouder à cause de son arrogance et de la rumeur qui dirait qu’il se comporterait mal, en particulier avec les cascadeurs, sur les plateaux de tournage. Qu’en est-il réellement ? En tout cas ici, on se range du côté des premiers.


Explorant l’histoire de la Chine et l’évolution des arts martiaux, 100 Yards frappe très rapidement par son visuel. On sent une réelle recherche de l’esthétisme chez les réalisateurs et leur mise en scène est très élégante. C’est visuellement très léché, mais bien moins « clipesque » qu’un The Grandmaster de Wong Kar-Wai qui jouait sur le même créneau de l’esthétisation des arts martiaux. Et c’est vrai que 100 Yards est très beau. Certains plans d’ensemble sont assez époustouflants et les cadrages sont millimétrés. Les frères Xu proposent des mouvements de caméra vraiment intéressants, toujours fluides, amenant un réel plus à la mise en scène, jouant parfois avec les contre-plongées, les plans cassés, les plans grues, pour une narration visuelle vraiment poussée et réussie. Si on met de côté quelques fonds verts qui restent malgré tout assez visibles, suffisamment pour faire grincer des dents les plus exigeants et qui, il est vrai, gâchent un poil l’esthétique de l’ensemble lors des plans extérieurs, 100 Yards possède une production value vraiment impressionnante. Même chose au niveau des intérieurs des bâtiments ou même des costumes, le travail abattu pour rendre la reconstitution crédible et le film beau visuellement est à saluer. Il se dégage parfois du film une ambiance mafieuse, appuyée par l’excellente bande son mixant diverses inspirations (le western spaghetti, le film de mafia des années 30). Mais ce travail musical est encore plus percutant lors de l’absence de musique, particulièrement lors des combats, où le réflexe du spectateur est de rester silencieux, allant même jusqu’à ralentir sa respiration comme si le film lui disait de se taire et d’admirer les combats.


Un souci tout particulier a été apporté aux combats afin de les rendre constamment lisibles car ils sont clairement une des attractions du film. Le travail chorégraphique est réellement excellent, extrêmement précis, et bien mis en valeur par la mise en scène. Nous sommes ici dans quelque chose de très hongkongais de la belle époque, avec un montage très peu haché, voire des petits plans séquences, et des réalisateurs qui vont préférer les vues assez éloignées pour laisser les artistes martiaux s’exprimer. Et il est vrai qu’ils sont assez impressionnants, aussi bien Andy On que Jacky Heung, en donnant tout ce qu’ils peuvent pour rendre l’ensemble aussi cinétique que possible, avec une hargne parfois assez féroce, parfois intelligemment retenue, mais toujours avec des coups secs, rapides et très précis. Leur affrontement à mi-film est assez jouissif pour qui aime un tant soit peu les films d’arts martiaux et, que les détracteurs se rassurent, point de wire-fu ici, tout reste extrêmement réaliste. Ces combats sont nombreux, en particulier dans la 2ème moitié du film où ils s’enchainent à grande vitesse et cette deuxième moitié de film est quelque part un seul long combat qui se déroule dans plusieurs endroits où Jacky Heung va affronter une variété d’adversaires armés de différentes armes tandis que lui devra apprivoiser des armes qu’il ne connait pas (des épées très courtes). Le casting fait réellement un très bon travail. Andy On est très convaincant, tout comme Jacky Heung, bien que ce dernier ait une tête assez antipathique, ce qui complique un peu le fait d’avoir de l’empathie pour son personnage. Leur duo et surtout leur confrontation fonctionne par contre réellement bien. L’intrigue est peut-être clairement le seul point négatif du film. Certes, cette rivalité entre le fils d’un maître et son apprenti pour le contrôle de la seule école de kung fu dans un Tianjin de 1920 en pleine mutation est plutôt simple et même intéressante, mais elle semble un peu hachée, parfois un peu brouillonne, avec une dynamique un peu étrange qui fait que l’alchimie avec les nombreux seconds rôles ne fonctionne pas toujours comme elle le devrait. Leurs interactions sont là, mais elles sont soit trop mécaniques, soit on a l’impression que toutes les informations ne nous ont pas été données pour qu’on les comprenne réellement.


Pour qui aime un tant soit peu les arts martiaux, 100 Yards est un réel plaisir. Rythmé, magnifiquement mis en scène, l’amateur y trouvera clairement son compte. Un film qui donne envie de découvrir la filmographie de Xu Hao-Feng.


Critique originale avec images et anecdotes : https://www.darksidereviews.com/film-100-yards-de-xu-hao-feng-et-xu-jun-feng-2024/

cherycok
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le 5 déc. 2024

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