A l'ère du matraquage informatif et des images prostituées il serait bon voire salutaire de revenir au Cinéma de James Benning : un Cinéma équivalant à un Art brut et sans concessions, faisant littéralement table rase de toute forme de manipulation, qu'elle relève de l'émotion ou du visible.
Dans 11 x 14 tout le Cinéma de Benning est déjà là : tournée dans le courant des années 70 cette oeuvre éparse propose rien de moins qu'une promenade pour les yeux et pour l'esprit, le cinéaste effectuant un travail d'épure particulièrement exigeant. Aucune trame scénaristique ne vient phagocyter l'essentiel : chez James Benning c'est le changement de plan qui constitue l'évènement, chaque image existant pour elle-même et pour l'ensemble du métrage. Le réalisateur pose sa caméra moins pour capter que pour absorber, maturant ses plans au point d'en révéler leur texture remarquable : lignes de force, points de fuite, profondeur de champ... 11 x 14 fait figure de film purement pictural, de film dont le titre énigmatique multiplie les possibilités programmatiques. Que l'on s'y perde ou que l'on y suive une trajectoire scrupuleuse ce film promet des perspectives quasiment inespérées, invitant aussi bien à la contemplation et au vagabondage qu'à l'interprétation ou à la gymnastique du regard...
Il y est question - comme toujours chez James Benning - de temporalité subie et d'espaces-temps segmentés, bien que cette oeuvre de jeunesse laisse davantage de place au composite qu'à la régularité métronomique de films plus récents. On peut par ailleurs y deviner les fantômes de Kerouac et du mouvement Beat, dans la mesure où l'auteur reprend bon nombre de codes du road-movie ( iconographie publicitaire autoroutière, marginalité, chemins de traverse...) tout en exécutant un parcours proche de celui du topographe. Un grand film, visuellement fascinant, qui se réinvente d'une image à l'autre.