Il est facile de faire des reproches aux jeunes réalisateurs qu’on affectionne dès leurs débuts : lorsqu’un premier film (en l’occurrence Hunger) est un coup d’éclat, la suite de l’œuvre s’en juge à l’aune, et les attentes sont souvent démesurées.
Mc Queen, fort du succès critique de ses premiers opus, s’attaque ici à un sujet qui semble être un incontournable de toute carrière hollywoodienne. Pathos, dénonciation, académisme, tout est bien là. Oui, la phrase assénée partout pour la promo est assez grossière, et provoque un recul prudent sur le traitement du sujet. Oui, la première partie est poussive : la famille idéale, la musique qui surligne poussivement le drame, la victimisation absolue du protagoniste…
Il ne faudrait cependant pas nier au film ses nombreuses qualités. Plastiquement, même s’il est évidemment en deçà du splendide Hunger, Twelve Years a Slave est maitrisé et ambitieux : la photographie des paysages du sud, le clair-obscur carcéral, l’expressionnisme des visages sont autant de réussites qui servent le propos. Comme à son habitude, le recours au plan séquence, notamment dans la scène de quasi pendaison où la vie quotidienne reprend ses droits alentours, est rigoureuse et éprouvante pour le spectateur. Par l’insistance sur la lenteur, la durée et le détail des violences, la frontière entre sadisme et dénonciation est cependant ténue : difficile de ne pas voir dans cette accumulation un catalogue malsain de toutes les exactions possibles, mais il serait aussi illusoire de revendiquer un confort du spectateur pour un tel sujet.
C’est dans son approche des personnages, sur la durée, que le film gagne en densité. Car sur un pathos parfois poussif se greffe une réflexion sur la déshumanisation bien plus intéressante. Il s’agit tout d’abord de la réification de l’esclave, à travers ce motif de l’homme précédemment libre à qui on fait d’emblée comprendre que son éducation, loin de le servir, ne sera qu’un handicap supplémentaire dans ses conditions de détention. Cette négation totale de l’humanisme, ce radicalisme du désespoir est un des points névralgiques du récit : savoir lire, savoir écrire, avoir de l’ambition dans son désir de liberté accroit la souffrance dans ce monde où travailler sans conscience, bestialement semble être le seul gage de survie.
Face aux objets, Mc Queen opère une autre étude, plus ambivalente encore : celle de la folie des propriétaires. Que devient-on lorsqu’on dispose d’humains comme d’objets ? Les hésitations déceptives du premier propriétaire, la démence du second nous montrent la déréliction de l’homme à qui l’on permet tout. L’amour de Fassbender face à Patsey cristallise cette nouvelle étape d’un pessimisme sans retour, elle libère la bête face au bétail. La violence comme arme de pouvoir, la fureur comme déchainement face au mutisme de celui qui hait silence : tout le monde y perd, l’humanité entière en est souillée.
De ce fait, l’académisme du film peut être considéré comme une forme de pudeur, et les conventions du récit comme des concessions faites à la noirceur du propos. Film hollywoodien qui parvient à éviter bien des écueils sur un sujet aussi sensible, Twelve years a slave est, disons, légitime. Reste à souhaiter que Mc Queen revienne par la suite à une cinéma plus ambitieux et moins idéologique.
(6,5/10)
Sergent_Pepper
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Historique, Carcéral, Drame, Dénonciation et Vus en 2014

Créée

le 4 févr. 2014

Modifiée

le 4 févr. 2014

Critique lue 3.2K fois

63 j'aime

11 commentaires

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 3.2K fois

63
11

D'autres avis sur 12 Years a Slave

12 Years a Slave
Eren
4

Kid...napping !

L'académisme apparent de ce film est une énigme et une évidence à la fois. McQueen accouche d'une mise en scène aussi louable que discutable. Il déploie également un casting palliant le masque de ses...

Par

le 20 févr. 2014

81 j'aime

13

12 Years a Slave
guyness
4

Soupires en pire

A l’angle de la Canebière et de la rue Vincent Scotto (qui donne sur Belsunce), au numéro 37, trône les lettres fluos du cinéma "Variétés". Le patron du cinéma traine une réputation peu reluisante...

le 16 févr. 2014

79 j'aime

59

12 Years a Slave
Hypérion
4

L'argument "Based on a true story" ça ne suffit pas.

Quoique @Before-Sunrise aie d'ors et déjà dit l'essentiel de ce que j'aurais pu gribouiller sur 12 years a slave, je vais me fendre de quelques lignes parce que bon, un oscar de meilleur film pour...

le 3 mars 2014

78 j'aime

20

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

774 j'aime

107

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

715 j'aime

55

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

617 j'aime

53