12 ans d'esclavage qui nous arrivent en pleine figure
En seulement deux longs-métrages, le réalisateur Steve McQueen s’est fait un nom dans le paysage cinématographique. S’imposant comme un réalisateur tout bonnement talentueux, qui agrandissait petit à petit son lot de fans à chacune de ses œuvres. Pour sa troisième réalisation, il compte bien élargir son groupe d’aficionados. Surtout que pour ce film, les cartes en mains sont bien plus avantageuses : un casting de renommée, une célébrité du milieu en tant que producteur (Brad Pitt) et un sujet qui touche émotionnellement chacun d’entre nous (l’esclavage).
Cependant, à l’annonce de 12 Years A Slave, il y avait une crainte quant à son rendu final et aux conséquences que cela pouvait entraîner. À savoir qu’un cinéaste tel que Steve McQueen, munit de moyens plus importants que pour ses films précédents, allait livrer un produit un peu plus hollywoodien qu’à son habitude. La peur que son talent soit noyé dans les conventions des gros studios américains qui auraient préféré attirer les regards avec un film d’époque en costume et une thématique déjà traitée au cinéma, de différente manière. Celle de l’esclavage et des mauvaises conditions de vie des Noirs aux États-Unis lors du XIXe siècle. Et ce même si le scénario s’inspire de faits réels, qui sortent de l’ordinaire (au niveau du point de vue). Plus précisément d’après les mémoires de Solomon Northup, homme libre qui fut enlevé puis vendu en tant qu’esclave dans un État non abolitionniste (Louisiane). Vivant comme tel durant douze longues années sous le joug de maîtres blancs sans vergogne (pas tous, il faut bien l’admettre, mais cela, nous y reviendrons plus tard).
Heureusement, il n’en est rien. Et même, Steve McQueen dépasse toutes les attentes en faisant ce que peu de réalisateurs auraient pu faire : traiter un sujet déjà vu de manière personnelle et qui sorte surtout de l’ordinaire. Ce que n’avait pas fait Le Majordome, ce qui explique pourquoi le film de Lee Daniels ne décollait pas aussi haut que ne le laissait prétendre sa réussite commerciale. Loin, loin derrière le chef-d’œuvre qu’est 12 Years A Slave.
Voir l’esclavage à travers le regard d’un homme libre de base, cela apporte déjà bien plus d’ampleur à la trame. Car pour la première fois, nous avons un personnage au même rang que les « puissants » qui se retrouve réduit à la misère la plus totale juste par sa couleur de peau. Et qui, pour survivre, doit cacher son identité (devant prendre le nom d’un vulgaire moins que rien) ainsi que ses talents de tous les jours (écrire, lire… jouer du violon faisant de lui une bête de foire qui le sort quelque peu du lot pour amuser la galerie), au risque de subir bien plus de « corrections » qu’à la normale. Car les Noirs étant des animaux, des propriétés, il est inconcevable que l’un d’eux soit à la hauteur sociétale d’un Blanc ! Un constat d’une monstruosité sans pareil ! Dressant au passage des portraits peu reluisants.
Celui d’un négrier alcoolo et sans pitié, qui les traite comme de la vermine. Tels des objets que l’on peut casser et vite remplacer. Celui d’un autre exploitant, bien plus généreux, mais qui doit se plier aux règles de la société pour qu’il n’ait aucun souci avec ses semblables. Celui d’une femme, épouse du premier, qui malgré des débuts à l’écran qui laissaient envisager une lueur d’espoir pour notre héros, s’avère aussi inhumaine que son mari juste pour une histoire de jalousie (son époux la trompant avec une esclave), marquée par un jeté de carafe de whisky mémorable (dans le mauvais sens du terme). Celui d’un maître qui est prêt à tout pour se faire écouter de ses esclaves, quitte à leur faire payer quand aucun ne va dans son optique. Et enfin, celui d’un marchand d’esclaves qui ne suit que la logique de son commerce au lieu de faire preuve d’humanité (séparer une mère de ses enfants ne lui fait ni chaud ni froid).
Mais aussi, nous avons le portrait d’une esclave, bien vue par son maître (parce qu’elle est « rentable »), prêt à se soumettre à ses avances juste pour devenir sa femme et avoir le statut de « libre ». Comme une ancienne esclave qu’elle fréquente. Sauf qu’elle n’arrivera jamais à atteindre ce stade, n’incitant que jalousie, convoitise et douleur. La pauvre allant jusqu’à supplier notre héros de lui mettre fin à ses jours. Et qu’au vu du dénouement, elle reste aussi esclave qu’au début. Elle qui avait des chances de gagner la liberté.
Car 12 Years A Slave est un film grandement cruel. Par son scénario bien évidemment, qui propose des séquences abominables à regarder (non pas qu’elles soient gores, mais plutôt qu’elles se montrent intenables et inhumaines à regarder), des répliques d’une monstruosité incomparable (sur le fait que les Noirs ne sont que des animaux, de la chair à canon… de la merde, quoi !) et une certaine ironie souvent mise en avant. Qui trouvent de l’ampleur via la mise en scène de McQueen. Par les lenteurs propres au réalisateur, donnant un impact visuel et émotionnel sans précédent. L’exemple principal étant celui où Solomon est pendu à une branche pendant tout un après-midi sans que personne ne vienne le soutenir. Une scène qui possède certes plusieurs plans, mais au moins un d’une durée de 5 minutes.
Par instant, McQueen arrive à sortir son récit de l’horreur la plus exaspérante. Pour cela, il use de sa caméra pour filmer les paysages de la Louisiane. Une rivière, un arbre, un bayou rougi par le Soleil couchant… ce genre d’images qui pourraient se montrer décoratifs (effet carte postale) dans un autre film, mais qui, ici, permettent de nous évader quelques secondes. Qui nous hypnotisent par leur beauté incontestable. Sans oublier des moments où l’émotion se lâche (dont la scène finale), de la manière la plus puissante qui soit. Il faut dire que la musique d’Hans Zimmer y est pour beaucoup. Le compositeur reprenant par moment les bases de sa partition Time (pour le film Inception) pour nous livrer l’une de ses plus belles œuvres musicales. Contribuant à la puissance qui se dégage de ce 12 Years A Slave.
Et enfin, nous terminerons sur la prestation des acteurs, juste flamboyante ! Chacun, qu’il soit principal ou secondaire, jouant leur personnage respectif sans aucune fausse note. Même de la part des grandes stars qui signent présentes pour seulement quelques minutes, ne donnant nullement l’impression de participer au projet juste histoire de cachetonner (Benedict Cumberbatch, Brad Pitt, Paul Giamatti, Paul Dano). Laissant ainsi la place à Chiwetel Ejiofor, qui trouve ici le moyen de se faire remarquer après bon nombre de rôles peu importants (2012, Salt). Michael Fassbender qui retrouve pour la troisième fois McQueen pour un rôle à contre-emploi. Celui d’un monstre, ivrogne et coureur de jupons plutôt inquiétant et imprévisible (ce regard !). Lupita Nyong’o, véritable révélation qui interprète la complexe Patsey. Sarah Paulson, véritable garce aussi froide que Fassbender.
Vous l’aurez compris, 12 Years A Slave mérite amplement son titre de « grand favori aux Oscars 2014 ». Steve McQueen ayant réalisé l’un des plus grands films de ces dernières années. Grand par sa mise en scène. Grand par son casting. Grand par son travail scénaristique. Grand par la puissance émotionnelle qu’il dégage. Un véritable déchirement au cœur, un uppercut foudroyant qu’il est inconcevable de passer à côté. LE film sur l’esclavage, à n’en pas douter ! Qui laissera une trace intemporelle dans le cinéma !