L'histoire vraie de Solomon Northup, un noir américain libre vivant avec sa femme et ses deux enfants de manière confortable au temps de la ségrégation raciale. Son quotidien bascule brutalement dans l'horreur lorsqu'il est enlevé et transformé en esclave : processus d'identification enclenché. À ce niveau-là, le film est vraiment réussi car on rentre dedans tout de suite, et je pense que tout le monde se sera posé la question : et si ça avait été moi ? Pendant deux heures, on vit le quotidien d'un esclave déshumanisé qui souffre et qui est témoin de choses choquantes, révoltantes et humiliantes. On sait qu'il a été privé de sa famille, de sa liberté et même de son nom. Alors, que reste-t-il à un esclave ? Son intégrité mentale qu'il est nécessaire de dissimuler pour ne pas attirer l'attention, ainsi que sa force physique qui ne fera que diminuer avec le temps et les mauvais traitements. Et plus rarement, de l'espoir.

Les personnages sont vraiment bien développés, en finesse et en subtilité. Avec force et justesse, Chiwetel Ejiofor (Solomon Northup) affiche un complexe panel d'émotions : l'incompréhension, la honte, la peur, la détresse, mais aussi la dignité, le courage et l'espoir. C'est captivant, et son jeu d'acteur est très beau à observer. À noter, cette scène de "tête à tête" entre l'acteur et le spectateur où Ejiofor, seul à l'écran, pose sur nous un regard franchement gênant. Mal joué, ce passage aurait pu très facilement sembler bizarre ou inutile. Mais il est bien joué, et cela amène un moment de pause qui apporte avec lui son lot de questions : est-ce qu'on réalise vraiment bien ce qui se passe à l'écran, et le fait que cette horreur ait pu vraiment exister, que des gens comme vous et moi aient pu vivre dans ces conditions ? En ce qui me concerne, même si j'étais horrifiée de ce que je voyais depuis le début, c'est lors de cette scène que j'ai pris la pleine mesure des propos portés par le film. Mais le personnage principal n'est pas un martyr : il fait ce qu'il faut pour s'en sortir, il essaie de s'adapter et de faire profil bas. Il n'est jamais hissé au rang de héros qui a tout vu et tout subi, il reste avant tout un humain doté de faiblesses, comme nous. Le second personnage dont il faut parler, c'est Edwin Epps (brillamment interprété par Michael Fassbender). D'une cruauté sans nom à différents degrés mais également très humain, il reflète à lui seul toute la complexité de notre race. La folie qui règne en lui est effrayante mais il éveille quand même une certaine pitié. Malgré sa malveillance et sa perversité constante à l'égard de ses esclaves, on se prend à rêver que ses rares moments de bonté fassent aussi partie de sa personnalité, car ce serait mieux pour lui qu'il ne vive pas qu'avec cette haine tenace et qu'il ressente parfois un soupçon de bonheur sain. Et enfin, troisième acteur dont la prestation mérite vraiment d'être saluée : Paul Dano, qui interprète le rôle de John Tibeats. Dans un registre beaucoup moins humain et beaucoup plus linéaire en terme de cruauté, Paul Dano impressionne malgré tout par le réalisme de la haine que l'on voit s'imprimer sur son visage. Le ton est donné lorsqu'au début, il chante aux esclaves une chanson raciste avec un sourire malsain et l'air de quelqu'un qui enseigne la vie à des être inférieurs.

Mais finalement, le plus dérangeant dans ce film, ce ne sont pas les personnages cruels. Selon moi, William Ford (joué par Benedict Cumberbatch) est bien plus choquant que les autres car malgré son empathie et son humanité, c'est lui qui nous montre à quel point l'esclavagisme était totalement intégré au mode de pensée de l'époque. Ainsi, malgré son "affection" particulière pour Solomon et sa bonté générale pour ses serviteurs, il trouve parfaitement normal le fait de vendre de êtres humains en boutique puisqu'il y participe en tant qu'acheteur, et dans sa vision des choses, le seul moyen de sauver la vie d'un esclave en danger sur son territoire est de le revendre à quelqu'un d'autre ("C'est la seule solution que j'ai pour t'aider" dit-il, alors qu'il pourrait tout simplement le libérer). Ne parlons même pas de sa femme qui estime déplacés les pleurs d'une esclave, inconsolable après avoir été séparée de ses deux enfants (c'est vrai que ça ne mérite pas quelques larmes) et qui, du coup, s'en sépare.

Question esthétique : wow ! Pour moi, Steve McQueen est d'abord un photographe de talent ainsi qu'un plasticien, et on retrouve très aisément son identité graphique dans la réalisation de ce film. Les paysages sont retranscrits de manière fantastique, c'est du bonheur (le seul de ce film).

Niveau narration : c'est fluide et rythmé, c'est soutenu et intense. Il y a une volonté affichée de ne rien dissimuler, et de ne pas épargner le spectateur. Cela nous fait assister à des scènes à la limite du soutenable : les coups de fouet répétés, le viol, et la terrible scène de la quasi-pendaison de Salomon qui semble durer des heures et pendant laquelle le personnage essaie de se maintenir le plus droit possible dans l'indifférence générale. Cette manière frontale de montrer les faits est parfois trop violente pour qu'on garde les yeux levés. De plus, je trouve que le temps s'écoule de manière intelligente. Même si l'on sait bien que Solomon est resté esclave douze ans durant, aucun marqueur temporel ne nous fait nous dire : "Ah, ça fait déjà neufs ans, c'est bientôt terminé!", au contraire. On a l'impression que ça n'en finira jamais et ça nous pousse à espérer une fin de concert avec le personnage, même si l'on connaît déjà le dénouement.

Enfin, on a beaucoup fait le rapprochement entre "12 years a slave" et "Django unchained" de Tarantino sorti l'année dernière : il n'y a pour moi aucun lien entre ces deux films. Si les deux traitent de l'esclavage, le film réaliste et poignant de Steve McQueen nous livre bien autre chose qu'un beau western sanglant et vaguement comique dans lequel les méchants sont punis par le bafoué, et retapissent les murs avec leur sang. Ici, il est question d'un homme qui essaie de survivre en baissant la tête, qui finit par y arriver en ayant abandonné tous ses principes. Personne n'est puni à la fin, et la morale est (très, très) loin d'être sauve.
Melody_B
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le 17 févr. 2014

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Melody_B

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