Putain. C'est le premier mot qui vous vient à l'esprit en sortant de la séance. Putain c'était réel. Tout ça a vraiment existé. Bien sûr, tout le monde le sait. Tout le monde sait pertinemment que l'esclavagisme compte parmi les plus sombres heures de notre histoire. Seulement, jamais on n'en avait pris conscience d'une telle manière. Jamais on nous en avait fait prendre conscience d'une telle manière. McQueen l'a fait.
Pour McQueen, les images sont plus fortes que les mots. C'était probant dans Hunger, troublant dans Shame. C'est ici les deux. On comprend d'ailleurs très vite le but du réalisateur : la vérité. À ce propos, il déclarait à Première le mois dernier : "Je voulais voir ces images. Vous les trouvez viscérales parce qu'elles vous choquent, mais vous savez qu'elles ont réellement existé". Et c'est exactement cela. Le problème pour beaucoup de gens aujourd'hui est que le cinéma peut absolument TOUT représenter. Le cinéma choque parce qu'il est vérace. Quel paradoxe pour ce genre dont la fonction principale est précisément de paraître vrai. Mais pire encore que de "paraître vrai", 12 Years a Slave est vrai.
Dans ce film, le récit semble beaucoup plus mainstream que dans les deux précédents longs du director, et la caméra "bouge" plus ; elle mise beaucoup moins sur les fameux "Statics Shots" caractéristiques de McQueen ; mais c'est tout ce qu'il lui manquait pour franchir la sacro-sainte marche des Oscars. C'est donc désormais chose faite. Néanmoins, le film garde un ton très dur, très froid, très rude, tout en restant captivant et juste. Et en nous nouant la gorge au passage.
Car 12 Years a Slave ne se contente pas d'une vision bipolaire et caricaturale des choses ; il s'efforce d'apporter d'éloquentes nuances en posant constamment de vraies question : Northup n'était-il pas insensible à la cause noire lorsqu'il était libre ? Celui qui se complaît et qui s'adapte en tant qu'esclave sans jamais se révolter ne contribue-t-il pas au rendement de cette spirale infernale ? La passivité n'est-elle pas toute aussi alarmante que l'acte ? Et que dire de la vengeance ? Autant de réflexions que pose McQueen et qui témoignent de l'intelligence de sa réalisation : c'est tout un système, toute une époque qu'il condamne, pas seulement le négrier.
Certaines scènes sont réellement magistrales, toujours servies par une bande originale qui l'est tout autant. On pourrait citer celle de la pendaison de Solomon ; ou celle dans laquelle il se retrouve contraint de fouetter Patsey ; ou encore celle du face à face entre Bass et Epps, mais il y en a tellement d'autres. Quant au casting que dire, que faire, si ce n'est acclamer ? Acclamer Fassbender pour sa folie sans équivoque. Acclamer Cumberbatch pour sa micro-psuedo-pitié. Acclamer Nyong'o pour son désespoir sans fin. Acclamer Paulson pour sa froideur insoutenable. Il n'y a rien d'autre à ajouter que bravo.
Éclectique, viscéral, acerbe, brut, âpre, violent, superbe, juste, frissonnant... On pourrait ainsi disserter pendant des heures sur 12 Years a Slave tellement la rage nous gagne tout au long du film. Cette rage qui nous donnerait l'envie de nous lever et d'hurler, pour que tout cela cesse. Cette rage qui nous donnerait l'envie d'arracher toutes ces pages d'histoire d'un passé terrifiant mais avec lequel nous devrons toujours cohabiter. Cette rage grâce à laquelle tout cela a cessé, quelques années plus tard. Et cette même rage qui devrait encore tous nous habiter aujourd'hui, pour combattre et refuser à jamais le racisme sous toutes ses formes.