Shin-hong est notre porte d’entrée vers le monde reclus que nous allons découvrir. Au fil de son parcours, on quitte les hautes constructions et les rues animées de la ville pour s’enfoncer vers un village lointain dont se dévoile graduellement la difficulté d’accès et donc l’isolement. Celui qui, dans la cité, tenait un commerce, devient vite indissociable des moines dont il adopte le crâne rasé et la robe traditionnelle. On cesse d’embrasser son point de vue unique pour s’intéresser à l’ensemble de la communauté qui contribue à la pérennité des traditions religieuses à travers leurs dons et leurs efforts. Chaque maillon de la chaîne, par son respect des coutumes et son implication, révèle ainsi l’importance des croyances au sein de cette société.
On s’apercevra pourtant bientôt que les préoccupations financières, sur lesquelles s’ouvraient le film alors que Shin-hong négociait le prix des fruits, n’est pas l’apanage de la vie citadine. Les campagnes ont subi de plein fouet les conséquences de l’inflation, et les moines se lamentent du montant des dédommagements qui ne leur suffit plus à assurer leur quotidien. Les villageois, restés en marge du développement économique du pays et, surtout, des pays voisins, se voient incités à partir travailler à l’étranger dans d’âpres conditions. Celles-ci leur importent, de toute manière, assez peu : l’attractivité de ces offres découle d’une nécessité financière.
A travers l’émergence de cette thématique, Midi Z renoue ainsi avec l’un des principaux motifs de ses précédents travaux. Adieu Mandalay, Ice Poison, Poor Folks, Return to Burma… tous abordaient la précarité des travailleurs birmans, et la fracture entre ceux restés au pays et ceux partis pour tenter de gagner leur vie ailleurs. Bien que 14 Pommes n’en fasse pas son point focal, sa présence en creux est incontournable alors qu’il trace le portrait d’une communauté qui, en dépit de sa réclusion à la fois géographique et politique, n’échappe pas aux effets corrosifs d’un développement économique brutal et désordonné.
Cette réflexion nous est amenée par une mise en scène minimaliste qui ne cherche pas à embellir ou galvaniser le propos. Midi Z filme caméra à l’épaule, ou pose son trépied dans un angle des pièces, sans que rien ne témoigne d’une recherche d’esthétisme. Les scènes auxquelles nous assistons se présentent à nous brutes, d’autant que le cinéaste les laisse s’écouler dans leur pleine durée et se garde soigneusement d’émettre tout commentaire. La démarche évoque volontiers Wang Bing, qui s’était d’ailleurs aussi intéressé, bien que sous un autre aspect, aux populations birmanes dans son documentaire Ta’ang.
Cette austérité n’est cependant pas toujours au service de 14 Pommes, car elle fait pleinement ressentir le ventre mou durant lequel on s’attache à suivre les moines dans leur collecte mutique de dons ou les porteuses d’eau le long de leur trajet quotidien. Si ce changement de rythme fait tout à fait sens par le contraste qu’il créé avec le quotidien pressé des citadins – et donc probablement du public – ce dernier court le risque de voir son intérêt décroître faute de voir où le réalisateur veut en venir, puisque seule la dernière demi-heure permet de mettre ces séquences en perspective.
A ce titre, on pourrait être soulagé que le métrage ne comptabilise qu’1h20, à l’inverse des films-fleuves qui font la réputation de Wang Bing. Cependant, là où sur des durées plus prolongées, il semble naturel que l’attention du spectateur fluctue, de sorte à ce qu’il s’imprègne de l’univers qu’il explore sans forcément s’y consacrer pleinement, cette baisse d’investissement devient plus dommageable à échelle réduite. Le nombre total de scènes étant ainsi peu élevé, on peut avoir le sentiment d’un manque de contenu, d’autant qu’il est parfois ardu de s’orienter au sein de cet environnement aux codes peu familiers.
En dépit de ses qualités thématiques et de sa portée politique, 14 Pommes s’avère donc inégal en termes de rythme. L’absence de narration et une progression temporelle indistincte peuvent ainsi le rendre difficile d’accès, en particulier auprès du public occidental pour qui les traditions bouddhistes sont largement méconnues. Midi Z nous propose de fait un exposé pertinent, mais qui requiert de la patience pour être pleinement appréhendé.
[Rédigé pour EastAsia.fr]