1917
7.6
1917

Film de Sam Mendes (2019)

C’est agaçant cette interminable antienne de la supposée opposition entre le cinéma et l’entertainment, anglicisme intraduisible désignant le divertissement sans l’art, le spectaculaire émotif, jouissif, et, par voie de conséquence, superficiel et trompeur.


Cette antienne agit chez les pisse-froids, les analystes sophistiqués, les peine-à-jouir, les radoteurs du verbe, les donneurs de grandes leçons frelatées, les rabat-joie compulsifs, les hystériques du détail, les dilettantes de l’image, chez la belle élite en somme, dans le cénacle des vrais juges de l’esprit et de la création, elle agit, disais-je, comme un leitmotiv, une redondance ultime, qui fait d’emblée défaut, qui déclasse une oeuvre de son statut d’oeuvre, et qui - pardonnez la comparaison mais je trouve son usage aussi facile - joue comme un moment Goodwin dans une conversation.


Au final, il y aurait les divertissements et l’art véritable. Des segments de l’art seraient dévoyés par l’industrie du spectacle, dans cette très chère société du spectacle, dont on ne peut, depuis cinquante-trois ans, se défaire, et le cinéma en ferait particulièrement les frais. Dans cette idiocratie(cy) les prolos moyennisés sont les plus fidèles spectateurs, ils croivent tout ce qu’ils voyent, et dépensent bêtement leurs petits-sous comme des moutons de Panurge.


Zut. J’ai aimé 1917, c’est que je dois avoir Disney en intra-veineuse.


Pourtant Sam Mendes nous ment. La guerre ca n’était pas ça. Il nous a emberlificoté l’esprit, son film est truffé d’erreurs, faut être con pour se laisser transporter. Il vaut mieux aller au musée. Ce qui est mieux est vieux.


Faut être con pour s’ébahir devant cet immense et faux plan-séquence, qui n’est qu’une prouesse technique stupéfiante, qui ne suppose qu’un sens supérieur de la mise en scène, qu’une maitrise géniale des travellings en tout genre, enfin, je ne connais pas suffisamment le cinéma technique pour en dire plus, mais j’ai eu le sentiment de regarder, pétrifiée, un foutu tableau pendant deux heures.


Faut être encore plus con pour avoir bêtement goûté la beauté sépulcrale de certains plans, notamment cette scène où l’anglais et l’allemand se font face, esseulés, avant que le second ne prenne le premier en chasse.


Faut être totalement con pour se pâmer devant les décors prodigieux, le boueux no man’s land jonché de cadavres et de tanks, les cerisiers abattus qui signalent une accalmie, et ces sublimes tranchées crayeuses qui préparent l’assaut final.


Faut être génétiquement con pour succomber enfin au rythme musical parfait, épique, galvanisant de Thomas Newman et aux silences bien choisis de Sam Mendes.


Et puis, si vous avez pleuré (probablement qu’en tant que femmelette vous avez versé votre petite larme) c’est forcément que le divertissement a eu raison de vous, qu’il s’est joué de votre part émotive, vous ne direz pas, surtout, que vous n’en avez pas eu pour votre argent.

Motherfuck
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 26 janv. 2020

Critique lue 632 fois

24 j'aime

9 commentaires

Motherfuck

Écrit par

Critique lue 632 fois

24
9

D'autres avis sur 1917

1917
EricDebarnot
5

Le travelling de Kapo (slight return), et autres considérations...

Il y a longtemps que les questions morales liées à la pratique de l'Art Cinématographique, chères à Bazin ou à Rivette, ont été passées par pertes et profits par l'industrie du divertissement qui...

le 15 janv. 2020

191 j'aime

115

1917
guyness
5

Fier Mendes (dans le nord de la) France

Certains films souffrent de leur intention. Surtout quand cette intention est mise en exergue par leur promotion. Impossible alors de ne voir que le résultat sans juger l’œuvre à l'aune de ce qui...

le 15 mars 2020

154 j'aime

20

1917
Halifax
9

Course contre la mort

France, 1917, une prairie. Première respiration et premier mouvement de caméra. A partir de maintenant et pendant presque 2h, cette caméra ne s’arrêtera plus de tourner, de monter, de descendre,...

le 8 janv. 2020

97 j'aime

7

Du même critique

Après l'histoire
Motherfuck
5

Non

J'ai eu du mal à terminer Après l'Histoire. Ce n'est pas que le texte soit difficile d'accès, c'est plutôt que le ton contempteur, méprisant et dépréciatif de Muray a fini par me saouler, si bien que...

le 29 mars 2020

24 j'aime

15

1917
Motherfuck
10

Oui

C’est agaçant cette interminable antienne de la supposée opposition entre le cinéma et l’entertainment, anglicisme intraduisible désignant le divertissement sans l’art, le spectaculaire émotif,...

le 26 janv. 2020

24 j'aime

9

Sérotonine
Motherfuck
7

Oui

C'est bien Houellebecq, sur l'échelle de Richter c'est toujours un petit séisme, et chacun de ses livres fait toujours le même effet, c'est navrant et délicieux, je dirai 3/10 sur l'échelle de...

le 11 févr. 2020

23 j'aime

5