C'est dès le 8 janvier de cette nouvelle décennie que l'année 2020 offre sa première claque cinématographique. Ce coup d'envoi nous est offert par nul autre que le réalisateur de renom Sam Mendes. Ce cinéaste est celui à qui l'on doit les deux derniers opus de James Bond (Skyfall et Spectre), Les Sentiers de la Perdition et surtout le chef-d'oeuvre American Beauty. Autant dire tout de suite que nous sommes loin de nous confronter à un amateur. L'annonce de cette nouvelle réalisation ne pouvait donc que donner l'eau à la bouche d'autant que l'ambition semblait plus qu'au rendez-vous.
Je précise que je vais révéler plusieurs points de l'intrigue du présent long-métrage. J'invite donc les personnes ne l'ayant pas vu à d'abord le visionner afin de ne pas se ruiner l'expérience immense qu'il nous propose.
1917 est donc un film de guerre nous proposant de suivre deux jeunes soldats anglais - Schofield et Blake - devant porter un message afin d'empêcher une embuscade allemande.
Je ne suis pas spécialement friand des films de guerre au sens classique du terme. Il s'agit bien souvent de métrages proposant une bonne réalisation et de bons acteurs, mais étant, à mon sens, prisonniers de leurs concepts et attributs. En revanche certaines créations sortent du lot comme les chefs-d'oeuvre que sont Apocalypse Now de Francis Ford Coppola et Voyage au bout de l'enfer de Michael Cimino. 1917 aurait tout pour rester prisonnier des clichés de films de guerre classique cependant vous constaterez vite qu'il n'en est rien.
Ce nouveau long-métrage de Sam Mendes propose une mise en scène absolument sublime. Le cinéaste a en effet pris le parti de tourner son oeuvre en un seul et unique (faux) plan séquence. Cette idée de mise en scène est totalement réussie et a en plus pour mérite d'être absolument justifiée, et ce, à tout moment. Il est compliqué de bien expliquer cela par écrit cependant je vais tout de même tenter d'exposer selon moi en quoi cette décision technique et cinématographique fonctionne ici si bien en revenant sur le scénario du film dans son intégralité.
1917 s'ouvre sur un travelling arrière braqué sur un champ de fleurs pour en arriver finalement à inclure nos deux protagonistes dans le cadre, ils semblent alors au repos. Nous sommes dans la sérénité perturbée par un léger vent, le calme avant la tempête. Ils sont alors appelés afin de se rendre auprès de leurs supérieurs afin de recevoir les ordres de leur mission qui sera la quête du long-métrage. Déjà là, Mendes nous offre par ce moyen de mise en scène qu'est le plan-séquence divers moyens de transitions parfaitement maîtrisés. Le cinéaste exploite ici le concept de la guerre comme un élément perturbant la tranquillité humaine et naturelle du monde. Ensuite, le travelling arrière continuera pour laisser entrer les 2 acteurs principaux dans les tranchées afin de pénétrer immédiatement dans un monde plus sombre et froid, le réalisateur nous plonge dans un labyrinthe dans lequel le spectateur sera lui aussi prisonnier. À mon sens le concept du "dédale" est assez central dans la façon qu'a Mendes de filmer les tranchées / bunkers au sein du long-métrage. Finalement, Schofield et Blake sortiront des tranchées par des échelles sans être certains de leur survie une fois sur le champ de bataille du front. Ce passage est prodigieux dans son mouvement de caméra bondissant hors de la crevasse en même temps que les 2 soldats. Le spectateur est témoin au même niveau que les personnages de ce qu'il se passe. Il en sait autant qu'eux à tous les niveaux, ici il n'y a pas d'ironie dramatique. Ce type de séquence se répète, mais surtout, se réinvente à plusieurs reprises au cours du film.
Sam Mendes possède une façon de filmer le champ de bataille qui évoque bien le passé des lieux. Les différents décors sont magnifiques et il sait de toute évidence comment les filmer ce qui nous prouve un réalisateur expérimenté et talentueux. Il arrive, avec force, à faire ressentir au spectateur à quel point le danger peut venir de n'importe où, chaque lieu est une cachette, mais surtout il utilise l'horizon comme moyen de menace et de tension. Plusieurs séquences, que cela soit sur le champ de bataille ou dans les étendues de prairies, la ligne tracée par le lointain semble filmée de sorte à faire craindre l'invisible. C'est un élément parfaitement mis en scène et fonctionnant très bien. La caméra ne s'arrêtant scénaristiquement parlant jamais, cette ligne d'horizon semble parfois constamment présente dans le cadre dans le but de créer de la tension.
Cette idée de crainte de l'invisible peut aussi être liée à ce que je vais appeler la peur de l'inconnu. Les soldats allemands sont clairement associés à l'ennemi dans ce long-métrage (nous prenons en effet le point de vue des alliés et principalement de l'Angleterre). Ils sont pourtant assez absents au point que seuls deux militaires germaniques auront leur visage clairement visible durant le récit : le pilote de l'avion et le jeune homme blond que Schofield étranglera. À part cela, ces antagonistes sont finalement peu visibles et je dirai même déshumanisé au sein du film. Les seuls que nous apercevons (mise à part les 2 cités) n'auront même pas leur figure visualisable. Ils ne peuvent pas montrer l'élément central définissant la notion d'humanité et d'expressivité : le visage.
Les soldats allemands seront soit visibles dans le brouillard ou en arrière-plan, quand la caméra les capte presque par hasard durant quelques secondes. De même, durant les scènes de combat dans les tranchées, l'ennemi n'est absolument pas visible. Seuls les sons des tirs se font entendre, mais nous ne les apercevons toujours pas. Cela renforce cette idée de peur de l'invisible et de l'inconnu dont je parlais plus tôt. Il est intéressant de noter que les deux seuls allemands à dévoiler leur visage au spectateur seront d'ailleurs les seuls pour qui les protagonistes auront d'abord de la pitié, si le visage de l'individu est dévoilé il devient alors plus dur de le déshumaniser et d'en avoir peur (c'est d'ailleurs cela qui poussera les Britanniques à se laisser "berner" si je puis dire).
En terme d'acting, tous les personnages sont superbement interprétés, mention spéciale à George MacKay campant le personnage de Schofield qui devient le protagoniste principal durant la seconde moitié du long-métrage. Les autres sont également de très bonne facture malgré certains acteurs connu comme Colin Firth et Benedict Cumberbatch faisant plus office de caméo (sachant qu'ils étaient dans la bande-annonce peut-être s'agit-il principalement d'un argument commercial).
Pour ce qui est du scénario il s'agirait peut-être du seul petit bémol du film dans le sens où il s'agit d'un récit classique de film de guerre. Cependant la tension et la mise en scène permettent de passer au-delà très vite de ce point donc j'ai du mal à vraiment y voir un défaut réel. Les personnages sont réussis et profondément attachants (pour ce qui est des 2 protagonistes). La mise en scène de Mendes sert le scénario. Les émotions recherchées par le cinéaste fonctionnent quand elles doivent fonctionner et certaines scènes pouvant passer comme du tire larme facile donnent finalement de belles réussites émouvantes sans aucune lourdeur (je pense par exemple à la mort de Blake ou de l'annonce du décès à son frère). Nous ressentons ce que devaient vivre les soldats de cette époque, et ce, à plusieurs niveaux. Les séquences voulant mettre le spectateur sous tension fonctionnent également parfaitement (le bunker allemand, la course-poursuite dans les ruines de la ville, la cavalcade de Schofield entre les obus pour porter son message...). Les quelques moments de repos (l'arrivée à la ferme abandonnée, la rencontre avec la jeune Française et le nourrisson, la chanson du soldat...) seront immédiatement suivis à chaque fois d'une remise en action de façon spectaculaire et puissante.
Je reviens pour terminer sur l'utilisation du plan séquence dans le long-métrage :
Une fois que le personnage de George MacKay arrive seul dans la ville détruite, il se retrouve aux prises avec un sniper allemand. Les deux hommes se tireront dessus mutuellement, mais Schofield en sortira indemne. Cependant, cela posera l'unique coupe réelle du film. Cela est encore une fois justifié du fait qu'alors que le jeune homme revient à lui, il a perdu ses repères physiques et temporels. Il fait à présent nuit, sa montre est cassée et seul un bruit de cloche lointain donne l'information d'une heure venant de s'écouler. Mendes réussit avec brio dans cette séquence de transition à nous placer encore une fois au même niveau que son protagoniste. Nous sommes aussi perdus et déboussolés que lui. La caméra recommence alors immédiatement à le suivre en plan séquence jusqu'à la toute fin du long-métrage. Cette dernière séquence est une course désespérée contre la mort.
De la ville détruite à la fuite dans les rapides d'eaux aux tranchées dont le but ultime est de retrouver le général MacKenzie, nous savons que Schofield n'a plus le droit à la moindre erreur. Il sait quand il arrive à quelques centaines de mètres de son objectif qu'il n'a plus le choix s'il veut sauver tous ceux pouvant encore l'être. La caméra le sait aussi et dans un instant de cinéma monumental le protagoniste effectue une cavalcade à travers les obus à même le champ de bataille afin d'arriver le plus vite possible à son objectif.
Schofield atteignant finalement son objectif, il arrive à convaincre MacKenzie d'annuler l'attaque. Il retrouve alors le frère de Blake pour lui annoncer la triste nouvelle en constatant un nombre de blessés graves et de décès important. Ayant accompli sa mission, il se dirige vers un arbre pour s'y reposer comme en début de film. Il contemple alors une photo de sa femme et sa fille (suppose-t-on) et l'on repense à sa réplique à mis parcours : "J'ai peur qu'ils ne me revoient jamais". Il n'a pas accompli tout ça pour une médaille ou l'honneur. Mais pour permettre à tous ces soldats prisonniers de la guerre comme lui d'avoir une chance de rentrer chez eux.
Le film se conclut alors comme celui-ci a commencé, sur un champ de fleurs. Le retour à une certaine tranquillité. Mais pour combien de temps ? Et surtout, à quel prix?
Sam Mendes nous offre avec 1917 la première grande claque de 2020. Un grand film de guerre qui je pense deviendra culte avec le temps. Une bombe de mise en scène, de savoir technique ainsi que de connaissance sur ce sujet et de ses déclinaisons filmiques.
Le tout pour nous offrir un tout grand moment de Cinéma.
Sam Mendes merci pour ça.