Attention cette critique contient des spoilers
Un exploit technique au service d’un film puissant
Oui, 1917 est un long plan séquence qui filme l’aventure de deux soldats de la première guerre mondiale « en temps réel ». Mais au-delà de cet aspect technique exceptionnel autour duquel tourne la plupart des communications faites autour du film ; 1917 est une œuvre forte, émouvante et signifiante.
1917 est un film beau, dont les arrière-plans regorgent de détails, de richesses – une fusée éclairante qui retombe, un avion qui passe entre deux arbres. Le film est une véritable réussite technique. Le jeu sur les lumières est époustouflant de jour comme de nuit, rappelant tantôt les tons bleutés et orangés des flammes dans la nuit (déjà aperçu dans Skyfall), le vert brillant des prairies qui s’opposent à la boue mélangée de sang des champs de bataille ou encore le gris des bâtiments en ruine ne se détachant pas du ciel. Enfin l’évocation omniprésente de la mort par la pâleur des visages : évidemment celles des cadavres qui jonchent leur chemin (de croix ?) celle de Schofield dans la mine, qui finit par disparaître par une ablution (baptismale ?) et évidemment celle progressive de Blake lors de la scène centrale du film.
La caméra libre, à l’opposé de des personnages qu’elle filme nous offre un jeu continue de cadres, de mouvements parfois étourdissants : se faufilant partout, même là où habituellement on ne regarde pas. Elle ne s’arrête qu’à des moments signifiants, des moments de pause : la rencontre avec la jeune femme, rare moment de répit ; la mort de Blake… La découverte presque naturaliste des champs de bataille, sillonnant entre squelettes de chevaux arbres morts et cadavres procure une émotion forte, par un sentiment d’immersion très fort. Le peu d’informations données au spectateur sur les personnages ainsi que les angles de caméra « à hauteur d’homme » permettent une identification très rapide. Les enjeux de la mission sont efficaces et vite établis afin de se concentrer sur le parcours, long et difficile des deux soldats.
Ce long plan séquence ne se contente pas d’épater le spectateur, il fait sens : la caméra comme la guerre ne s’arrête pas même quand la vie elle, nous quitte.
Une attention de tous les instants
Notamment par un jeu d’hors-champ époustouflant le film nous tient en haleine de bout en bout. Les quelques instants de répits sont immédiatement sanctionnés par une tension croissante. La musique joue un rôle prépondérant dans cette immersion des plus anxiogène. Toujours juste, son crescendo accompagne à merveilles les instants de danger ; et son arrêt permet des respirations salvatrices. Les personnages transmettent leur peur par un regard ce qui permet ici d’évoquer un jeu d’acteur juste, dans la retenu, ne laissant échapper que des bribes d’émotions par instants (une crise de larmes après avoir échappé à la mort, un instant de doute en évoquant ceux laissés à l’arrière). Le film nous emporte et ne nous relâche pas ; ces mouvements de caméra tour à tour cachant et dévoilant les vastes espaces, les sombres recoins de tranchées abandonnées soumettent le spectateur à une tension permanente : que va révéler la caméra lorsqu’elle contourne le personnage ? Le son joue également un rôle déterminant dans la création de ce hors-cadre, d’un meuglement de vache au vrombissement d’un moteur d’avions, tout attire notre regard, et celui des personnages hors du champ de notre vision. Ces sons sont d’ailleurs souvent annonciateurs – ce sont les cloches de l’église qui rappelle le soldat à son devoir, le moteur de l’avion qui annonce le danger imminent ou encore le chant lointain qui confère l’espoir.
Tranchée avec l’héroïsme militaire ?
Le film s’inscrit clairement dans une nouvelle façon de filmer la guerre déjà observée notamment dans le Dunkerque de Christopher Nolan, une guerre à hauteur d’hommes, une guerre de souffrance. Loin de glorifier l’acte héroïque, ces films montrent une guerre au ras du sol, voire dans la boue qui le recouvre. Les soldats y sont déshumanisés à l’instar des ombres dissimulées derrière un casque ou un livre lors de la première découverte de la tranchée. La question même du consentement des soldats est posée à travers le personnage désabusé campé par Andrew Scott qui attend irrémédiablement la relève au milieu des cadavres. Nous sommes bien loin du mythe du soldat patriote, parti la fleur au fusil défendre son pays. On peut se demander si cette nouvelle façon de filmer la guerre est inspirée par l’historiographie récente, notamment les travaux de Stéphane Audouin-Rouzeau et d’Annette Baker qui questionnent la relative acceptation de la violence et de la souffrance par les soldats lors de la première guerre mondiale.
Par ailleurs, le film rappelle la futilité de la guerre et de l’acte héroïque mené par le personnage principal dont la réussite est nuancée par les propos du colonel MacKenzie qui sous-entend que l’attaque aura lieu quoi qu’il arrive, quelques jours plus tard. Cet œuvre tend à renverser les valeurs placées habituellement au cœur des films de guerre : le courage n’est ici au service que de valeurs profondément humaines d’amitié profonde, d’altruisme ; la vie sauvée qui s’oppose à la vie ôtée. Quelques références pourraient alors même faire penser que nous sommes face à un film antimilitariste (évocation du Dormeur du Val lors du premier plan du film puis lors de la mort de Blake).
On peut ainsi interpréter l’épanadiplose du film de plusieurs manières : soit positive – la mission est un succès, les valeurs humaines ont triomphé et ont permis cet exploit, ce dépassement de soi - soit très pessimiste, rien n’a changé pour le caporal Schofield qui retrouve sa situation initiale alors que la guerre, elle continue irrémédiablement.