En résumé : Faites ce que vous voulez, les avis sont partagés ! Pour les cinéphiles, à voir surtout si vous craignez de ne pas l'apprécier, ce n'est pas un si mauvais moment à passer et ça forge son esprit cinéphilique.
[Edit] 13/01/2025 – paragraphes 2 et 3 + la conclusion.
J’ai quelques théories sur le cinéma, la plupart empruntées à d’autres (que le cinéma c’est un rêve éveillé, que c’est le seul art qui peut contenir tous les autres arts, que le cinéma c’est l’art du vrai et le théâtre l’art du faux, qu’un bon film est le résumé de son tournage, etc.). Toutes sortes de théories qui trouvent leurs contres-exemples facilement mais qui offrent des grilles de lectures intéressantes. Celle-ci est de moi : seuls les films d’époque fait par les gens l’ayant vécu, au moins au travers de leur parents, sont crédibles (et bons, de ce point de vue là). Avec une modulation qu’au début du ciné on pouvait remonter un siècle en arrière de façon crédible car on vivait peu différemment et que cet écart s’est rétrécit à chaque décennie jusqu’à arriver à entre vingt et quarante ans selon le sujet et selon le talent de l’équipe du film. En gros Ford pouvait filmer à ses début toutes les années 1800 sans complexe quand on peine à revenir aux années 1970/80 maintenant (les corps ne sont pas les mêmes, entre autres).
Au delà on finit dans la fable sur Marie Stuart ou la Reine Margot par exemple… Des films que j’aime mais qui sont autant des documentaires que Game of Thrones, là où – au hasard - Jeanne Dielman, Cuisine et Dépendance ou Le père noël est une ordure sont aussi des documentaires sur leur époque en plus de leur propre histoire. Il y a donc une frontière entre le film encore dans un aspect documentaire parce qu’il est proche de l’époque tournée et le film qui part dans un ailleurs presque uchronique parce qu’il en est trop éloigné. Partant de là, un documentaire sur la première guerre mondiale tourné maintenant a peu de chance d’avoir un aspect documentaire.
Et ce sont justement les films comme 1917 ou Dunkerque qui m’ont convaincu de ça (surtout quand on regarde le Dunkerque de 1958 ou Week-end à Zuydcoote, tournés au plus près de la guerre et de la ruine). Jusque là, ce n’est pas forcément très grave, le film peut malgré tout dire des choses cinématographiques intéressantes (tout comme peuvent le faire Marie Stuart ou la Reine Margot). Nolan arrive à nous plonger dans les sensations de danger, d’épuisement et d’angoisse tout en nous montrant qu’on envoyait des gamins au casse-pipe. Ce que font mal Dunkerque 1958 et Zuydcoote avec leur acteurs à « gueules » qui ont tous l’air de mecs matures qui assurent (j’aime ça les gueules mais parfois, c’est inapproprié!). Un film récent peut avoir des points plus intéressants qu’un film ancien mais pas la capacité à être naturellement dans le jus de l’époque.
1917 souffre de ce défaut évident auquel il va additionner quelques autres.
1917 tente de nous montrer l’horreur de la situation mais le dispositif formel tue la proposition. Le plan séquence existe pour lui-même, sa sensualité lisse tout et l’intervention maladroite de la CGI (du point de vue visuel comme scénaristique) finit de plomber l’histoire. La séquence dans les trous d’obus avec les cadavres et les rats m’a laissé de marbre...
Tout n’est plus que péripétie, attendue qui plus est (oui après Il faut sauver le soldat Ryan, on s’attendait à la fille dans les ruines…).
Deux moments seuls sont ressortis pour moi. Tout d’abord, la séquence purement visuelle des fusées éclairantes et autres explosions dans les ruines. Le vertige fonctionne et c’est visuellement inédit. La fin sur la plage. La masse de figurants et d’explosions finit par créer un effet physique indéniable, là encore.
Mais globalement on est restés avec une sensations de clichés (tout a déjà été dit et montré, on le sait, mais il faut le redire d’une façon qui semble neuve). Que tout n’était que péripéties, ce qui enlève à la gravité de la chose. Et qu’enfin, c’était la vision de la guerre à la façon d’un jeu vidéo qui avait gagné la bataille de l’imaginaire. Modern warfare, Medal of honnor… Comme une suite d’actions scriptées pour aller vers un dénouement avec leur lot de rencontres de PNJ… Comme s’il y avait un sens au chaos de la guerre...
Nous sommes suffisamment loin de l’époque pour que l’horreur des gueules cassés et des fous de la première guerre mondiale s’efface (chirurgie et psychiatrie ont fait des progrès considérables à cette époque tant il y avait de cas à soigner). On va de plus en plus pouvoir faire des deux guerres mondiales un terrain de spectacle façon péplum, reconstitution de campagnes napoléoniennes et autres Grandeur Nature. Un jeu*.
Ce genre de travail de sape mémoriel va permettre de ré-accepter la guerre. Je n’en fais pas trop, je vois les conversations des jeunes autour de moi face à l’attaque de la Russie par l’Ukraine.
Je trouve que l’époque fantasme beaucoup sur cette période (Paris 1900, Eiffel, Dodin-Bouffant, Downton Abbey, liste longue…), jusque dans des looks contemporains (on parle du moustachu au ministère du logement?) et je n’ai pas l’impression que c’est pour d’agréables raisons…
*Attention, je ne critique pas les jeux vidéos en soi - je suis moi-même gamer – mais plutôt le vernis impersonnel qu’ils peuvent donner à l’image cinématographique. Ainsi que l’erreur d’adapter l’esprit jeu vidéo littéralement (ou alors en faire une expérience comme « Hardcore Henry »). Le même genre d’erreur a été faite avec la BD. Chaque média a ses propriétés et même si l’image est commune à la bédé, au cinéma et au jeu vidéo, on ne peut pas prendre l’un pour l’autre.
L’image de la bédé ne bouge pas, elle a besoin d’exagérations ou a recours à des poésies qui n’ont pas de sens en cinéma. Le jeu vidéo a l’immersion par la possession des commandes que n’a pas le cinéma. Même si certains jeux vidéos tendent à désensibiliser l’empathie (cf. la relation entre les fps et les tueries de masse) et à transformer les joueurs en pilotes de drones, il y a des sentiments par l’implication qu’on a dans le jeu. On risque de « mourir » soi-même. Même si le jeu nous fait survoler un peu les chsoes, on est impliqués. Si le cinéma nous embarque dans un drone sans nous donner les commandes, il ne nous implique pas. Il a un travail spécifique à faire pour nous mettre dans le film.
Le problème est aggravé par la frontière qui s’est réduite entre les deux médias à cause des images de synthèse. D’une part des films qui font jeu vidéo / parc d’attraction (films de super-héros, Pirate des caraïbes, listes très longue) et de l’autre des jeux à histoire (Last of Us, Life is Strange, liste très longue aussi). Pourtant, si la frontière se brouille, elle n’en reste pas moins là : Il faut toujours agir dans les jeux même si c’est à très peu de points dans l’histoire et on n’a toujours pas les commandes dans le film (et on sent parfois jusque au gerbouli du tour de manège). Bref, si ces trois médias veulent *dire* des choses ils ne peuvent pas le faire de la même façon. Dans cette confusion des supports, le film a grandement souffert. Reste à savoir si le chef op qui a proposé le plan séquence et le réalisateur qui l’a accepté en sont conscients ou non.
En un mot comme en cent, 1917 est un film qui parle avant de son époque. Et je ne sais pas si j’aime ce qu’il me dit.
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4,5/10 (et je suis large)
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