Une plage déserte. Une jeune femme qui court, se déshabille et plonge dans l’océan. Quelques notes de musique graves, presque sinistres. Le sentiment d’une présence menaçante dans l’eau. Puis…
…un périscope ! Suivi d’un sous-marin aux couleurs du Japon.
Dès cette entrée en matière, le ton est déjà donné. 1941 se présente d’emblée comme une parodie et une comédie burlesque qui part d’un fait authentique : en décembre 41, après l’attaque surprise de la flotte nippone sur Pearl Harbour, les habitants de la Côte Ouest, en particulier de la Californie, furent pris d’un mouvement de panique en pensant que les Japonais allaient continuer sur leur lancée, traverser le Pacifique et les attaquer directement. Voilà ce qui va servir de point de départ à la seule comédie burlesque et délirante de la filmographie de Spielberg, une petite pépite méconnue qu’il est impératif de re-découvrir.
Spielberg réunit autour de lui une troupe qui allait, par la suite, illustrer parfaitement le Hollywood du divertissement : le scénario est signé par Robert Zemeckis et Bob Gale (qui, quelques années plus tard, feront ensemble la trilogie culte Retour vers le futur) sur une idée de John Milius (co-scénariste d’Apocalypse Now et futur réalisateur de Conan le Barbare). Le script joue sur les différentes formes d’humour : comique de situation, dialogues délirants (« Un porte-sous-marins a atterri sur la côte ! »), parodie, burlesque destructeur et personnages cinglés.
Ainsi, au niveau des personnages, 1941 nous propose (liste non exhaustive) :
_ un soldat colérique et violent qui déteste la couleur jaune et se prend pour un grand séducteur (interprété par Treat Williams, acteur que l’on peut voir aussi dans Hair, de Milos Forman ou Le Prince de New-York, de Sidney Lumet) ;
_ un aviateur fou qui est convaincu de pourchasser une patrouille aérienne japonaise dans le ciel de Californie (John Belushi) ;
_ un père de famille fanatique des armes et qui se retrouve avec une DCA installée dans son jardin ;
_ un livreur de sapin de Noël qui s’appelle Wood, Holly de son prénom ;
_ une secrétaire qui ne peut faire l’amour que dans un avion en vol (interprétée par Nancy Allen, qui avait joué dans Carrie, de Brian de Palma) ;
_ un général qui paraît complètement décalé dans ce monde de folie, puisqu’il essaie de garder les pieds sur terre, et qu’il préfère aller voir Dumbo que s’occuper de la sécurité de Los Angeles (incarné à merveille par le génial Robert Stack)…
Tout ce beau monde va se croiser et se re-croiser dans un film qui, suivant la logique du cinéma burlesque, semble être pris dans un crescendo de folie destructrice. 1941 semble être alors un immense terrain de jeu pour un enfant-réalisateur qui cherche à s’amuser, et à nous communiquer son amusement. Rien ne va y échapper : les maisons des particuliers, la salle de bal, les rues de Los Angeles et même un parc d’attraction, tout va être ravagé dans un tourbillon incontrôlable.
Un enfant doué cependant, qui sait parfaitement mettre en scène ce jeu de massacre. Le rythme est idéal, les gags s’enchaînent à toute vitesse et il n’y a aucun temps morts. Les acteurs en font des tonnes sans que cela soit gênant, puisque ça rentre parfaitement dans le cadre du film. L’humour joue aussi beaucoup sur l’inattendu, et de nombreuses surprises émaillent le film.
La reconstitution aussi est remarquable. Et là, c’est plus le Spielberg cinéphile qui passe aux commandes. Les images des années 40 sont bien celles véhiculées par le cinéma. D’ailleurs, le film est rempli d’allusions, et le cinéphile se voit déjà dans le choix de certains acteurs ; ainsi, au casting, on peut trouver Elisha Cook Jr., acteur habitué aux seconds rôles dans les années 50, et Robert Stack, mais aussi Christopher Lee et le génial Toshiro Mifune (acteur fétiche d’Akira Kurosawa) qui forment ici un duo hilarant.
1941 reprend et détourne avec plaisir les scènes typiques du film de guerre. Nous avons le bal des soldats qui se transforme en baston générale, le discours pour motiver les troupes ou la conclusion sur les « valeurs américaines ».
Or, il faut bien avouer que ces « valeurs américaines » sont bien malmenées dans ce film qui, derrière le divertissement, laisse quand même passer l’image critique d’une Amérique paranoïaque fascinée par les armes. Même le Père Noël prend la figure de l’Uncle Sam bardé de cartouchières. Cette fascination fait des Américains les destructeurs de leurs propres valeurs. Le principal danger pour l’Amérique, ce sont certains Américains, et avec une telle population, le pays n’a finalement plus besoin d’ennemis.
L’ensemble fait de 1941 un divertissement de haut vol, un spectacle ahurissant et hilarant et une sorte d’OVNI dans la filmographie de Steven Spielberg. Coincé chronologiquement entre deux de ses films les plus connus, Rencontres du troisième type et Les Aventuriers de l’Arche perdue, 1941 est un bijou à re-découvrir.