Réalisé par le futur responsable de L'âge de cristal et du Tour du monde en 80 jours, cette première adaptation au cinéma du classique d’Orwell fut précédée d’une version télé pour la BBC de 1954 apparemment plus puissante et avec le même acteur principal, le respectable et respecté Edmond O'Brien. Les deux versions se complètent mais n’arrivent pourtant pas à englober tout le propos du livre encore trop dense pour être résumé avec une caméra.
On ne peut pas dire que le suspense soit fort, que l’oppression de Big Brother soit vraiment palpable, ni qu’une once d’intensité morbide du livre s'y retrouve mais c’est pas mal du tout quand même pour l’époque, en particulier la dramatique qui est l’intérêt principal. Même si je connais et apprécie déraisonnablement le 1984 de 1984 avec John Hurt (et oui…), ça ne m’a pas gêné de découvrir cette adaptation moins sombre mais agréable malgré tout.
La foule anonyme et homogène est peu abordée en dehors des grands spectacles collectifs où chacun crie sa haine d'Eurasia, le camp adverse. Il manque aussi le développement sur cette guerre plus ou moins provoquée et gérée par Oceania elle-même. Plus de personnages secondaires consistants comme le chef de la police de la pensée, Michael Redgrave impeccable, ou la jeune espionne teigneuse m’auraient aussi fait plaisir. Le bon personnage bien interprété par un Donald Pleasance tout jeunot manque lui aussi de développement. La tension du quotidien n’est donc pas extrême mais présente malgré tout.
L'histoire est tellement connue qu’elle a forcément perdu de son originalité, les caméras partout, la journée de la haine, la petite boutique secrète, la résistance invisible, les écrans, les falsifications de l’histoire, la torture mentale, le nombre de doigts sur une main, etc, mais le propos résonne encore aujourd'hui sans aucun doute. Le film se focalise avant tout sur l'individu, en particulier le couple interdit qui cherche à s’échapper de cette réalité factice.
De ce côté-là, ça fonctionne y compris la mise en scène qui possède quelques points communs avec THX1138 d’ailleurs. Edmond O’Brien livre une bonne interprétation du personnage en proie aux doutes, bonne gueule subtilement engageante et tourmentée, même si son embonpoint trahit un peu la supposée dictature impitoyable du régime. Jan Sterling, blonde platine au visage joliment banal, débute après la télé. Le couple, soit l'intérêt principal du métrage, est attachant et les acteurs sont dedans. Leurs subterfuges pour tromper Big Brother sont bien amenés.
Bref, ça casse peut-être pas des briques mais c’est très sympa.