Sinon la première, une des plus anciennes adaptations du chef-d’œuvre d’anticipation de George Orwell, le film de Michael Anderson s’inscrit dans un cinéma britannique empreint de classicisme et de rigueur, et manquant malheureusement cruellement d’imagination. Si la narration reste fluide, l’âge du film laisse peser quelques longueurs mais c’est surtout
l’évidence d’une absence de budget et d’ambition
qui vient souligner le talent non convoqué du réalisateur et, dans une certaine mesure, la déception de ses comédiens impliqués dans une production bien légère par rapport aux enjeux fondamentaux de l’œuvre originale et à la démesure qui devrait l’accompagner.
Entendons-nous bien : le film n’a rien de formidable, probablement pas à l’époque, certainement pas aujourd’hui. Les deux comédiens principaux ne sont certes pas mauvais au point de dénoter, mais Edmond O’Brien comme Carol Wolveridge, dépassés par
l’absence de perméabilité entre les enjeux du conflit,
livrent chacun une prestation inégale penchant trop souvent du côté de l’exagération pour l’un, de celui de l’absence pour l’autre, pour satisfaire l’équilibre très instable de la mise en scène. Comment leur en vouloir pour autant face à cet objet inconstant qu’est le film ? Comme s’ils tentaient de partager leur déception, leur impression d’un travail négligé, d’un soutien défectible, face au
manque d’implication d’une production qui ne met jamais les moyens matériels nécessaires
à sublimer le mouvement de chaque scène, et par-delà celui de la narration dans son ensemble.
L’histoire est simple. Ici simplifiée à l’extrême, droit aux buts sans que jamais les parallèles essentiels de l’œuvre originale ne soient mis en lumière : après une horrible guerre totale et une série d’explosions nucléaires, la face du monde est changée, blocs continentaux opposés en guerres permanentes, cédant la place à des régimes totalitaires sur l’entière surface du globe. En Angleterre, berceau d’un bloc occidental, l’œil de Big Brother surveille les moindres agissements d’une population soumise à une administration aliénante. Au cœur de l’angoisse permanente pourtant, une improbable histoire d’amour va éveiller les consciences de ses protagonistes jusqu’à les pousser à tenter d’agir sans comprendre combien ils sont en train de tomber dans le plus ancien, le plus évident des pièges :
le courage de l’amour, ces ailes qui nous poussent, tel Icare, nous mènent à la pire des folies,
ce rêve de liberté, nous faisant alors oublier tous les dangers qui menacent.
La production sent l’impératif de tournage rapide et le condensé d’(in)efficacité d’une production télévisuelle, si les scènes s’enchaînent, c’est malheureusement au dépend de la fluidité narrative : aucune grammaire cinématographique ne vient jamais souligner l’importance des enjeux,
aucun mouvement de caméra ne vient poser un seul instant l’importance d’une séquence,
l’imminence du danger ni l’emportement volatil de l’amour. Tout semble figé dans le compte-rendu sans saveur et sans imagination d’une lecture rapide à laquelle on se serait soumis par impératif sans jamais y porter l’intérêt nécessaire. Sans évidemment désirer alors s’attaquer à ce dit compte-rendu.
Tout comme moi avec cette critique laborieuse.
Au final,
l’aspect de fable qui s’en dégage semble presque involontaire,
presque accidentel, même si l’on se doute que c’est le moins qu’ait pu faire Michael Anderson face au désengagement trop visible d’une production trop pressée. C’est peut-être effectivement ce que le prolifique réalisateur britannique tente de nous dire en jouant de la musique façon vieux film muet sur d’entières séquence, le piano jazz pour dire combien tant de choses manquent encore. Il faudra dorénavant attendre de longues années avant de voir une nouvelle adaptation de ce livre qui pourtant mérite d’être largement diffusé…
Ce qui n’est pas le cas de ce film.