Marco reprend la photographie.
Marco accepte de vivre avec Émilie. Marco a peur pour son père, atteint d’Alzheimer.
En préambule à l’album, Manu Larcenet use d’une citation de Jacques Brel pour poser le propos de l’album : « On ne peut pas dire qu’ils furent esclave, de là à dire qu’ils ont vécu… »
Dans une nuit noire, Marco et son père discutent. Comme l’augure de la transmission, le père parle à son fils de paternité et d’angoisses. Puis lui apprend sa terrible maladie, et cette première séquence est déjà lourde d’émotion. Le ton de l’épisode reste dans l’atmosphère. Marco reprend le travail et prépare une exposition sur les ouvriers du chantier naval où son père a travaillé sa vie entière, s’y confronte avec la misère populaire. Une page intense et pourtant aérée où la misère politique est décortiquée, froidement. Une page de l’imbécile désespoir des peuples. Marco prend conscience des vanités du monde et de la misère des gens. De cette machine politique sans âme qui écrase et nie les volontés, les rêves et l’énergie, la beauté des hommes, ces Quantités Négligeables, pour s’enrichir d’un pouvoir déshumanisé.
Le dessin de l’artiste garde l’allure naïve, légère, et continue de jouer l’équilibre contrasté entre des couleurs vives et des ambiances lisibles, et ce scénario sombre, fait d’ellipses pour n’être qu’à l’essentiel et pesant des petits drames quotidiens de celui qui s’éveille à la conscience du monde qui l’entoure, d’amour et d’inéluctable. Le rythme est un souffle, de séquence en séquence, et le contraste magnifique de quelques pages de portraits ouvriers en crayonnés noir et blanc amène l’universel des questionnements du héros. Superbe.
Les Quantités Négligeables, plus qu’une suite, c’est la confirmation de ce que raconte le parcours lent et angoissé de Marco de la vie ordinaire des gens normaux. Un album magistral d’humanité, témoin essentiel de son époque. Entre conscience politique et conscience de soi, conscience des autres et transmission, avec un personnage fort de sa lucidité qui ne lui fait voir que ses faiblesses, Manu Larcenet se raconte un peu et raconte nombre de ses contemporains.
Avec amour et respect. Avec humilité. Avec conscience. Avec art.
Matthieu Marsan-Bacheré