1991 : The Year Punk Broke
7.4
1991 : The Year Punk Broke

Documentaire de David Markey (1992)

The Year Punk Broke documente le renouvellement spectaculaire d’un genre musical que rien ne prédestinait à la gloire : le punk rock. Si les Sex Pistols avaient brisé le plafond de verre à la fin des années 70, le genre s’était vite épuisé, laissant place aux sonorités plus sophistiquées du post-punk et de la new wave. Le punk pur et dur, lui, était revenu à la marge, éclatant en une multitude de sous-genres.


Moins « romantique », plus politisé et radicalisé, le punk hardcore de Black Flag ou des Bad Brains avait repris le flambeau de l’autre côté de l’Atlantique. À New York, la ville qui avait vu naître le punk rock avec Richard Hell ou The Ramones, la scène avait muté au début des années 80 vers l’avant-garde avec le mouvement no-wave et des personnalités hautes en couleur comme Lydia Lunch, James Chance, Glenn Branca ou ceux qui nous intéressent ici : Sonic Youth.


Puisant avant tout ses racines dans le punk de la Big Apple, Sonic Youth se revendique également de l’avant-garde culturelle de son époque (allant de la musique contemporaine de Philip Glass au free jazz). C’est ainsi que le quatuor collabore régulièrement avec des artistes contemporains comme Richard Kern (pour des clips) ou Gerhard Richter (l’artwork de leur album culte Daydream Nation).

L’artiste underground californien Dave Markey est, lui, l’un des vidéastes les plus demandés de sa génération au moment où Kim Gordon, la bassiste du groupe, lui demande de les suivre sur la route en Europe. Markey est la personne toute désignée pour cet exercice : il a déjà collaboré avec de nombreux hérauts de la scène rock alternative comme Circle Jerks, Mudhoney ou The Meat Puppets. Avec une caméra rudimentaire, il va capter, sans le savoir, un moment clé de l’histoire du rock. Car Sonic Youth, devenu le chef de file d’un mouvement désormais qualifié de noise rock, va, lors de cette tournée européenne, rassembler autour de lui la crème de la scène rock indépendante américaine. Parmi les forces en présence, un groupe est en passe de devenir un véritable phénomène de société : Nirvana.


1991 est en effet une année charnière dans l’histoire du rock avec la sortie d’albums qui vont chacun, à leur manière, renouveler le genre : le trio de Seattle publiera bientôt Nevermind, les Anglais de My Bloody Valentine l’avant-gardiste Loveless, tandis que Slint posera les fondations du post-rock avec leur second album Spiderland. C’est dans ce contexte que débute cette tournée à travers l’Europe, du festival de Reading au Pukkelpop en Belgique en passant par le Monsters Of Spex de Cologne. Outre Sonic Youth et Nirvana, on croise la route, sur scène et en backstage, de groupes qui vont écrire chacun, à leur échelle, une page de l’histoire du noise rock des années 90 : Dinosaur Jr., Babes In Toyland ou Gumball.


Dave Markey restitue parfaitement l’énergie d’une scène au sommet de son art avec des moments d’anthologie comme les performances explosives de Freak Scene de Dinosaur Jr., Endless Nameless de Nirvana ou Brother James de Sonic Youth. Chaque groupe rivalise de sauvagerie et d’ingéniosité pour faire un maximum de boucan. En coulisses, on a aussi droit à des apparitions lunaires de Courtney Love, Bob Mould de Hüsker Dü ou encore Joey Ramone, figure tutélaire du punk. Filmé à l’arrache, 1991: The Year Punk Broke adopte une forme amateur qui sied parfaitement à son sujet : une bande de punks arty en goguette sur le vieux continent. Le ton est à l’ironie constante et au sarcasme cool. Et à ce jeu-là, Thurston Moore, le guitariste et chanteur de Sonic Youth, est comme un poisson dans l’eau. Ce géant de deux mètres, autrefois gauche et timide, est omniprésent. Il a la tchatche et enchaîne les salves absurdes et références érudites sur le punk rock ou la « crasse », teasant le nom du prochain album de son groupe (Dirty) tout en préfigurant l’esthétique du mouvement grunge à venir. Kim Gordon, accompagnée de Jay Mascis de Dinosaur Jr. ou du roadie Joe Cole, multiplie les saynètes moqueuses sur le star system en mode soap opera low budget.


De leur côté, Kurt Cobain, Krist Novoselic et Dave Grohl de Nirvana se comportent comme Les Trois Stooges, trop heureux de participer à cette tournée qui verra leur côte popularité exploser. Ils s’amusent en coulisses, ruinant le catering en s’aspergeant de bières chaudes dans des happenings typiques du rock’n’roll circus. Ils ne le savent pas encore, mais ils profitent des derniers moments de leur liberté avant le succès insensé qui leur tombera dessus quelques mois plus tard. Et c’est bien cela qui, rétrospectivement, frappe dans 1991: The Year Punk Broke : le fossé qui se creuse inexorablement entre le succès mainstream de Nirvana et les autres groupes, restés cantonnés à l’underground. Le documentaire de Dave Markey capture le mouvement rock alternatif américain au temps de son innocence, juste avant la déferlante grunge et le cirque médiatique qu’il va engendrer. Ce mouvement sera monté en épingle par l’industrie, dans le sillage du succès intersidéral de Nevermind porté par Smells Like Teen Spirit, quitte à faire passer des vessies pour des lanternes : Pearl Jam, Soundgarden ou Alice In Chains. Mais cela est une autre histoire… Car après cette tournée, plus rien ne sera comme avant.


Sorti brièvement sur un nombre limité d’écrans aux États-Unis, 1991: The Year Punk Broke doit son statut culte à sa sortie en VHS en 1992. Sa réédition en DVD en 2011 comporte une heure d’images supplémentaires montées par le réalisateur lui-même.



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