Vous vous êtes amélioré Dave.
Tant de choses à dire sur ce film et pourtant tant de choses qu'il reste à y découvrir. Je rappocherais peut être ce film du livre Voyage au bout de la nuit écrit par Louis Ferdinand Céline. Les deux n'ont bien sûr pas la même signification (bien que tous les très grands artistes semblent se diriger vers le même point) mais j'y trouve ce point commun qui est de découvrir une strate supplémentaire à chaque relecture/revisionnement. La première fois que j'ai vu 2001, j'étais quand même jeune, je voyais seulement un voyage vers Jupiter et la fin du film m'avait totalement répulsé. La première fois que j'ai lu Voyage au bout de la nuit je n'ai saisi que les sentiments et les péripéties de Bardamu au premier degré. Ce point commun attribue déjà à 2001 la force d'être pertinent au premier degré, car Kubrick n'a pas lésiné sur le travail de l'image, il n'a jamais lésiné mais 2001 montre un zèle particulier. Regardez ce film en Blu-Ray vous n'en reviendrez pas.
Je pense, car un tel monument ne peut pas être compris de fond en comble, que le sujet principal de ce film est l'évolution de l'Homme. On pourrait dire c'est évident, il suffit de voir la première et la deuxième scène qui témoignent de l'évolution mais on pourrait aussi centrer le film sur des composantes de l'évolution humaine : l'échec (HAL 9000), la compétition (Russes/Américains, Monolithe/Humains et HAL 9000/Dave), la religion (le monolithe pour Dieu immuable, omniprésent, apparament omnipotent et peut être omniscient ?), composantes que l'on peut encore décomposer.
Tout d'abord, l'explication de deux éléments du film.
Je rapprocherais le monolithe de Dieu car il est immuable, on voit bien qu'il se conserve de la Terre à la Lune à Jupiter aussi car le même signal que sur la Lune est émis, on peut donc comprendre que le monolithe sera identique sur Jupiter. Il est omniprésent, dès que l'Homme découvre ou atteint endroit, le monolithe y est. Il est omnipotent car son signal peut mettre en erreur toutes les machines, puisque l'Homme n'arrive à le décomposer et à l'analyser. Il est omniscient car il suit toute l'évolution de l'Homme : le monolithe anticipe toutes les actions de l'Homme.
Pourquoi un tel titre ? 2001 ? L'action principale se déroule-t-elle en 2001 ? Je ne pense pas que ce soit le souci de Kubrick. 2001 est tout simplement la trinité (1+2=3), dont le film n'est pas dépourvu.
La première scène nous montre l'aube de l'hummanité, comme il est écrit dans le film, où les primates, nos supposés ancêtres, se disputent un territoire. Finalement, l'un d'entre eux ramasse un os et a le dessus sur les autres. C'est la découverte de l'outil, une distinction majeure que nous faisons entre l'Homme et l'animal. C'est donc, dans l'absolu, le moment où le primate devient l'Homme. Tout de suite après, le monolithe apparaît. C'est donc Dieu qui fait son apparition suite à celle de l'Homme. Pourquoi Kubrick le fait il apparaître à l'époque simienne alors et non avec les égyptiens (qui sont les premiers à avoir fait preuves de sépulture, donc de religion) ? Tout simplement car Dieu est la prochaine découverte de l'Homme après l'outil (bois, pierre, feu, écriture qui est un outil pour plaquer la parole, etc...) et qu'on peut simplifier tout le passage entre ces primates jusqu'aux égyptiens en rien du tout si l'on s'interesse à l'évolution intellectuelle. Le monolithe effraie d'abord les hommes, c'est un élément inconnu, puis un homme se met à le taper avec l'outil : cela montre notre rudimentarité, nous attaquons matériellement une chose immatérielle ou immuable en tout cas. Une fois que l'homme a compris que son os est innefficace face au monolithe il le lance en l'air, il comprend qu'il faut encore évoluer pour atteindre ce Dieu tout puissant qui fascine.
C'est alors que nous passons dans l'espace, pourquoi Kubrick a-t-il décidé de couper l'antiquité, le moyen-âge et l'époque moderne ? Tout d'abord 2001 dure 2h21, et pas 8h. Puis le passage dans l'espace est la découverte d'un monde complètement nouveau, pas comme l'Amérique, régit par d'autres lois que celles de Newton, atteignable par la perfection de l'outil depuis l'os jusqu'aux vaisseaux spaciaux : c'était la perfection dans les années 60's bien que Kubrick ait vu plus loin. L'Homme croyait avoir enfin atteint la divinité en se rendant dans l'espace car il pensait que tout était désormais ouvert mais tout de suite il retrouve le monolithe sur la Lune qui de nouveau lui pose une énigme : comment cette pierre parfaitement taillée s'est-elle retrouvée ici ? Le savoir de l'Homme est donc remis en question. Nous pouvons voir cela déjà quand le professeur se rapproche de la base lunaire dans sa navette : son stylo flotte et l'hôtesse vient le remettre dans sa poche. Kubrick aurait fait ce petit détail juste pour nous montrer l'apesanteur ? Non... cela signifie que le savoir de l'Homme, donc le stylo, l'écriture+l'outil, est fragile lorsqu'il se rapproche de Dieu. Et l'hôtesse rappelle au professeur que son intellect, contenu dans le stylo, ne suffira pas à faire face à Dieu donc elle le remet humblement dans sa poche et il se réveille, ou cesse de rêver. Pour montrer encore une fois qu'il échappe à l'Homme, Dieu se matérialise encore une fois en monolithe mais sur Jupiter. Et l'Homme, insatiable de connaissances, part pour Jupiter.
Dans le voyage qu'effectue Dave avec HAL 9000, au départ rien ne pose problème. Dave joue aux échecs contre HAL et perd évidement. Kubrick nous rappelle la fragilité du savoir de l'Homme, même celle de cet astronaute qui pour avoir une telle mission, ne doit pas avoir le cerveau d'un choux. Puis HAL signale l'endommagement d'un panneau. Dave s'y rend et tout est opérationnel. Il semblerait donc que HAL ait fait une erreur. Ce dernier maintient que cette hypothèse est impossible. C'est alors que HAL commence à inquiéter les deux astronautes. Ils ont leur discussion hors du vaisseau concernant l'éventuelle mise hors service de HAL. Ce dernier lit sur leurs lèvres et prépare une contre-attaque. Ainsi HAL envoie valser (rapport aux valses de Viennes ?) un astronaute dans l'espace mais Dave réussi à rentrer dans le vaisseau et met manuellement HAL hors service. Toute cette partie est une pièce de théâtre traduisant les rapports entre l'Homme, la machine et Dieu. Par transition les machines sont l'Homme, et tout naturellement, comme l'Homme fait déjà avec lui-même, elles se retournent contre l'Homme. HAL est une telle perfection qu'il touche au divin, c'est alors que Dieu s'en sert comme instrument pour empêcher les astronautes d'atteindre Jupiter et de suivre Dieu encore une fois. Ici notre savoir est devenu trop grand pour nous, et donc dangereux. HAL si l'on prend pour chaque lettre sa suivante dans l'alphabet donne IBM qui est la plus grosse production d'ogives nucléaires. Or l'ordinateur incarne le plus gros de la science de l'Homme et puisque HAL veut tuer les humains, car Dieu rappelle la limite à leur savoir, cela signifie bien qu'après un seuil notre connaissance est trop forte pour nous, comme un réacteur nucléaire prêt à craquer à tout moment. HAL est aussi l'anachronisme de la tour de Babel ou de la bibliothèque de Circée, monuments emblématiques de la connaissance qui sont détruits par la divinité lorsqu'ils prennent trop d'altitude. HAL teste une première fois les humains avec la fausse déficience du vaisseau pour voir si cela suffirait à se débarasser d'eux quand il voudrait. En effet cela fonctionne mais Kubrick pousse le film plus loin en émettant l'hypothèse que l'Homme ne tomberait pas à cause de son savoir, il lui reste son physique, c'est pourquoi HAL est débranché manuellement. Il chante au clair de la Lune, c'est toute la connaissance de l'Homme qui devient enfantine après une confrontation avec Dieu.
Enfin, Dave atteint Jupiter. il atterit dans une maison très blanche et lumineuse. Avec des décorations classiques. La lumière symboliserait pour moi l'idée que nous nous faisons du paradis ou de la mort d'après l'espression : "J'ai vu la lumière blanche.". Ce qui signifie que Dave est sur le point de voir Dieu. Cette décoration classique nous ramène aux temps antiques et rappelle la Grèce, premiers polythéistes. Kubrick rassemble dans une même pièce toutes les idées relegieuses que nous pouvons nous faire : le monothéisme avec la lumière blanche du paradis, le polythéisme avec les fioritures grecques et l'athéisme avec la science représentée par Dave (car l'athée croit en la Science, sinon en rien mais il est donc mort...). Il montre que toutes nos théories qui nous causent bien des conflits sont ridicules car elles se rassemblent toutes au même endroit, englobées par quelque chose de plus grand qui est vraiment le divin. C'est donc une nouvelle attaque au savoir de l'Homme troublé par son besoin de croire en quelque chose de plus grand tant il est petit. Dave se transporte à travers les pièces en vieillissant, c'est désormais mon passage préféré où Kubrick démontre après l'échec intellectuel de l'Homme face à Dieu (avec HAL) l'échec physique... l'Homme vieillit inévitablement et meurt un jour. Ce qui le rend impuissant face à Dieu l'éternel. Lorsque Dave est sur le point de mourir il voit le monolithe. Dieu lui apparaît et Dave se transforme en feotus. Je verrais ici la théorie de Nietzsche de l'éternel retour qui consiste à dire que ce que nous vivons n'est qu'une pure répétition de ce qui a déjà été vécu et que tous nos actes sot d'avance déterminés par ce qui a déjà été fait et que nos actes déjà déterminés déterminent eux-mêmes les prochains actes du futur cycle. Maintenant que l'Homme a épuisé de toutes ses ressources intellectuelles et physiques pour égaler Dieu, tel que Dave nous l'a montré, et qu'il a perdu, Dieu le renvoit à sa forme originelle pour qu'il recommence son éternel cycle. Ensuite le feotus est en orbite autour de la Terre, c'est le regard innocent de Dave qui a compris que nous ne faisons que des cycles perpétuels et il contemple l'hummanité sans émotion car on ne peut ni dire que cet enfermement dans un cycle est triste, ni qu'il est joyeux. Dieu a renvoyé Dave chez lui afin que le futur cycle commence : Dave étant le dernier point du présent.
Tout ce que nous faisons ne servirait donc à rien ? Autant nous tirer une balle ? Mais cela serait encore inutile car un cycle recomencerait, identique, c'est la périodicité infinie et cela voudrait juste dire que tous les cycles suivants vont se finir par un suicide et que tous ceux d'avants se sont finis ainsi. Je pense qu nous devons juste vivre avec le rappel que nous ne sommes Dieu en rien du tout à part peut être sa création ou son jouet. Je pense, et Kubrick aussi, évidement à la bombe nucléaire, qui est peut être une insulte à notre rareté. Si des êtres aussi rares que nous se tuent, c'est une insulte à la création (divine ou scientifique, je parle pour tous) qui s'est donné le mal de rassembler quelque part toutes les conditions propices à notre développement. Mais d'autre part pour ceux qui aiment insulter les grandes forces, tels que des athées critiquant Dieu qui me font bien rire d'aileurs..., cette insulte reste bénine et l'univers continuera son cours comme rien ne s'était passé.
On admirera tout au long du film la vision futuriste de Kubrick : la communication entre le professeur et sa fille, cela se passe toujours comme cela à notre époque. Les bases lunaires filmées en 1966 sont exactement les mêmes que celles construites des années plus tard. Il faut bien savoir que Kubrick avait des amis dans la NASA mais tout de même cela ne retire pas de son génie. Tout ce qu'il a filmé avec le vaisseau se déroule de la même manière aujourd'hui.
Tout est extrêmement bien joué, avec des acteurs très singuliers mais parfaits pour les rôles, un que l'on retrouve en capitaine John Quinn dans Barry Lyndon.
Les musiques sont à tomber, du Also Srapch Zarathusta (la plus connue) par les sublimes Valses de Vienne jusqu'à l'Adagio from Gayane que je conseille à tous et à toutes d'écouter !!
En somme ce film est une oeuvre mythique du cinéma, film comportant à peine 20 dialogues et qui pourtant a tant de choses à dire, il restera pour moi un puits de richesses morales toute ma vie je pense, il me reste tant à découvrir sur ce film. Merci Kubrick !