Pour tenter d'apporter un brin d'originalité à une critique qui arrive après des millions d'autres (j'ai presque envie d'abandonner, c'est dire), je soulignerai des comparaisons entre ce film et le livre homonyme, les deux oeuvres ayant été écrites en même temps et chacune à la fois par Kubrick et Clarke (avec une influence plus forte du réalisateur pour le film et de l'écrivain pour le livre, bien entendu). A ma connaissance, c'est un cas pratiquement unique, deux oeuvres parallèles, c'est à dire qu'aucune des deux n'est l'adaptation de l'autre.
J'ai déjà dit ici tout le bien que je pense du livre: https://www.senscritique.com/livre/2001_L_Odyssee_de_l_espace/critique/8733796
Le film est cependant à voir une première fois avant, pour garder au moins un bref moment le mystère voulu par Kubrick, et une seconde fois après, ce qui permet aux images de prendre un nouveau sens.
A première vue, de la confrontation des deux, le film semble partir perdant. La précision scientifique de Clarke, qui confine à la hard-science, ne peut être traduite entièrement en images, même si elle reste présente à travers les formidables maquettes de vaisseaux et le respect presque inédit à Hollywood des règles physiques les plus basiques (le silence spatial, bordel !). Aucune voix-off n'est utilisée (et c'est tant mieux) et les dialogues eux-mêmes se révèlent somme toute bien rares, accentuant la perte du spectateur. Tout juste nous offre-t-on une astuce scénaristique sous forme d'interview télévisuelle pour comprendre qui est Hal, l'intelligence artificielle guidant le vaisseau Discovery One en direction de Jupiter.
Or l'apport scientifique de Clarke, loin d'être assommant, ouvrait les yeux du lecteur sur l'infini du cosmos, la solitude de l'homme et son insignifiance frôlant la mauvaise farce. Mais plutôt que d'offrir un film qui n'informerait le spectateur que de manière approximative, Kubrick va jusqu'au bout du concept. On regarde et on se tait. Le cinéma est art du mouvement ? et bien bougez ! Dansez sur les ellipses cosmiques aussi sombres que muettes ! Le visuel devient message, l'épique et l'astrophysique, supports luxueux pour la fable métaphysique. Que ce soit à partir de tableaux à la symbolique géométrique (le cercle symbolise dans le film l'humanité et le rectangle ce qui lui est supérieur) ou de la valse des corps et des vaisseaux, 2001 offre un spectacle sensoriel tour à tour apaisant et galvanisant.
Dans cette optique, la désincarnation de Dave, le héros de la troisième partie, a du sens, même si j'avoue avoir personnellement du mal avec un personnage interprété de façon quasi-monolithique et dont on ne sait pratiquement rien. Mais pour Kubrick, Dave importe peu, il n'est qu'un avatar de l'humanité dans lequel n'importe qui est censé pouvoir se glisser (un peu comme ces personnages muets et en vue subjective dans certains jeux vidéo... mais là non plus ça ne marche pas pour moi).
Enfin, si les dernières minutes du film exposent parfaitement le message du film dans une grandiose ode mystique, avouons que le passage qui le précède est bien trop long et visuellement décevant par rapport au reste du film. Kubrick tente de résumer l'incroyable passage interdimensionnel de Clarke par des effets pyrotechniques, certes incroyables pour l'époque, et des images en négatif... Mouais.
Malgré tout, 2001 est un spectacle visionnaire avec lequel aucun space-opéra actuel ne peut soutenir la comparaison. Une orgie musicale et visuelle qui tire pleinement parti de son media et qui continuera à l'influencer tant qu'il y aura des rêves et des salles obscures.