Also sprach Stanley Kubrick
Fermez les yeux, tendez l’oreille, vous écoutez Le Beau Danube Bleu de Johann Strauss II que voyez-vous ? Une salle de bal viennoise remplie de danseurs en grande tenue ? Le fameux beau Danube Bleu ? Ou plutôt la terre vue de l’espace, ses courbes, ses couleurs et le gigantisme paisible de l’espace infini ? 2001 l’Odyssée De l’Espace ne se contente plus d’être un grand film devenu classique, il est entré dans l’inconscient collectif jusque dans l’esprit de ceux qui n’aiment pourtant pas cette œuvre.
Il y a encore aujourd’hui et pour très longtemps beaucoup de questions, d’interprétations, de versions parfois très personnelles sur la ou les significations d’une œuvre aussi belle que passionnante de complexité. Qui n’a pas cherché, sans jamais la trouver, l’histoire que raconte la dernière séquence du film, à mi-chemin entre le délire psychédélique sous LSD et la parabole biblique ? Hallucination ? Monde parallèle ? Au-delà ? Fracture temporelle ? Les paris sont toujours ouverts. Le plus triste serait de lever un jour vraiment le voile sur cette part de mystère qui subsiste et entretien la passion pour le plus abouti des films de science-fiction, voir d’anticipation. Car 2001 est à la frontière des genres. Le mystère du monolithe qui apparaît à différentes époques le classe dans la pure fiction, mais l’univers du film, cohérent avec ce que pourrait être notre avenir tient de l’anticipation telle qu’a pu l’écrire Jules Verne.
S’il y beaucoup de questions qui resteront, heureusement, toujours sans réponse, il y a aussi un univers visuel esthétiquement parfait bien qu’ayant un peu vieilli. Si les scaphandres des personnages ont souffrent le poids des années, les images de l’espace, de la station n’ont rien à envier aux productions numériques actuelles. On contemple ces plans superbes de l’infiniment grand, rehaussés de quelques-uns des plus beaux morceaux classiques, tellement évocateurs avec ce lever de soleil vu de l’espace sur les notes d’Also sprach Zarathustra. C’est d’une puissance visuelle et sonore rare et on comprend d’emblée qu’on est fasse à un chef-d’œuvre qui mérite sa réputation.
On en oublie presque les acteurs qui se retrouvent bien absents face à l’enjeu immense d’un tel film qui se ressent plus qu’il ne se regarde. Kubrick a voulu un film long, lent et contemplatif qui captive sans ennuyer par ses images et son propos plus que par ses scènes « d’action ». Les tableaux (c’est bien le terme) se succèdent, passant de l’aube de l’humanité prenant le pouvoir sur son environnement, jusqu’à son crépuscule, quand elle cède ce pouvoir à la machine, ici le légendaire HAL 9000, symbolisant la naissance de l’intelligence artificielle et de toutes les questions qui l’accompagnent : s’il est intelligent a-t-il conscience des autres et surtout de lui-même ? Cette intelligence lui confère-t-elle de l’humanité ? Jusqu’où va son pouvoir de décision ? Questions auxquelles Isaac Asimov a tenté de son côté de répondre, à travers ces trois lois de la robotique, durant toute sa carrière littéraire.
2001 est ce qu’on appelle pompeusement un « film total », abouti sur tous les plans, qu’ils soient visuels, musicaux ou encore par la richesse d’une histoire pleine de questions fondamentales qui donnent une soif de comprendre, d’aller chercher au-delà du mot « fin » les sens cachés d’une œuvre qui restera unique car ne se contentant pas d’aligner les effets d’esbroufe chers à l’entertainment. Ce film sait se faire à la fois cinéma de réflexion, de fascination mais aussi de découverte de l’avenir de l’humanité et des civilisations qui la composent. Stanley Kubrick a réussi à mêler sans jamais égarer le spectateur la science-fiction, l’anticipation, la philosophie, la mélomanie et le suspens d’un ordinateur trop humain et prêt à tuer pour sa survie. Par ce film, Kubrick a touché du doigt l’immortalité qu’il a su donner à son œuvre.
