Un grand pas pour la science-fiction au cinéma !
La Planète des Singes versus 2001, l'Odyssée de l'espace :
étude comparée de deux œuvres cinématographiques majeures de la science-fiction.
(J'ai bien conscience que le topic est inapproprié mais en attendant que j'écrive une critique spécifique sur 2001, l'Odyssée de l'espace, je livre quand même ici mon point de vue sur ce film.)
Sortis quasi simultanément en 1968, soit un an avant l'envoi du premier homme sur la Lune et alors que le monde baignait dans la guerre froide, La Planète des Singes et 2001, l'Odyssée de l'espace, piliers incontournables de la SF au cinéma, sont les témoins directs de leur époque, le premier, pessimiste, projetant toutes les peurs de celle-ci et le second, optimiste, toutes ses espérances.
A la fin des années 60, ils représentent deux façons d'envisager le futur...
Des thématiques à la fondation de la SF moderne...
Le but de toute bonne œuvre de science-fiction est de poser une question philosophique dans un cadre imaginaire s'appuyant sur la science (avérée ou spéculative) pour mieux mettre en valeur notre condition présente ou comme l'a très bien exprimé James Cameron : "La science-fiction n'est pas tant un moyen de projeter notre futur que de réfléchir notre présent."
Ces deux films gravitent autour du même thème fondamental de la SF, à savoir : l'évolution de l'espèce humaine. Et dans les deux cas, cette thématique est notamment soulignée par la mise en contraste du primate simiesque face à l'homme moderne.
Les deux films se rejoignent aussi sur un autre thème majeur de la SF, lié à l'évolution de l'Homme et particulièrement retentissant à cette époque : la technologie et son utilisation.
Avec la course à l'armement entre les Etats-Unis et l'Union soviétique et durant une période où la technologie commençais à envahir le quotidien, tous deux nous mettent en garde contre ses effets pervers et destructeurs avec la bombe atomique pour l'un, et le superordinateur HAL, pour l'autre.
L'utilisation de la science et de la technologie n'est donc pas seulement un cadre mais un véritable sujet de réflexion, ce qui fait de ces œuvres de la pure science-fiction, contrairement à des films comme Star Wars, qui tiennent plus de la fantasy spatiale, sans que ce terme soit péjoratif.
Liée à la conquête spatiale, l'entrée en contact avec une vie extraterrestre est un fantasme lui aussi caractéristique de cette époque qui va prendre la forme concrète du SETI avec les premières recherches sérieuses dans ce sens. Alors que la Planète des Singes présente une race (extra)terrestre concrète et hostile, 2001, au contraire nous présente une entité supérieure abstraite qui va intervenir dans la destinée humaine. Arthur C. Clarke (qui reprend l'une de ses nouvelles publiée en 1951) et Kubrick vont de ce fait, exploiter un concept (devenu poncif aujourd'hui) de la SF qui sera popularisé à cette époque à travers la théorie des anciens astronautes.
"Une chose m'intrigue : l'Homme, cet être si merveilleusement doué, cet extraordinaire paradoxe qui m'a expédié dans les étoiles, est-ce qu'il fait toujours la guerre à son frère ? Est-ce qu'il laisse toujours mourir de faim les enfants de son voisin ?" : s'ils se rejoignent dans leur thématique, cette phrase du capitaine George Taylor au début de La Planète des Singes pourrait synthétiser la divergence des deux films sur la destinée humaine.
Dans La Planète des Singes, le personnage de Taylor, joué par Charlton Heston et fil conducteur de la thématique, va évolué en trois temps: au départ, misanthrope et désabusé par le genre humain, il cherche une civilisation plus évolué que l'espèce humaine. Ensuite, après avoir fait la rencontre des singes, il change totalement son point de vue initial et pense que l'espèce humaine est bien plus évoluée que ces macaques bornés, intolérants et cruels, se faisant par là le défenseur ultime du genre qu'il décriait. Enfin, à la fin du film il revient à son point de vue initial en maudissant l'humanité et il comprend enfin l'attitude des singes envers les hommes. Cette évolution scénariste et de point de vue caractérise au mieux le propos du film à savoir: le retour à l'âge de pierre.
La Planète des Singes qui débouche donc sur une régression de l'humanité avec l'autodestruction de la Terre sous le feu atomique pourrait renvoyer à cette citation d'Einstein:
"J'ignore la nature des armes qu'on utilisera pour la prochaine guerre mondiale. Mais pour la quatrième on se battra à coup de pierres."
Le climax atomique, si vous me permettez, de La Planète des Singes était d'autant plus retentissant durant la guerre froide, en plus de nous exposer au travers du personnage joué par Charlton Heston ainsi que par le biais de la société simiesque, les tares de notre propre espèce et de notre propre société. Domination, racisme, ségrégation, esclavagisme, en plus de faire référence à un passé peu glorieux, font directement référence à la situation de la société américaine à cette époque.
A l'instar de La Planète des Singes, 2001, va également développer son propos en trois temps : Premièrement, il nous expose l'aube de l'humanité et l'Homme dans sa forme primitive. Deuxièmement, l'homme à l'apogée de sa technologie et troisièmement la projection de celui-ci au delà... et à ce titre 2001, l'Odyssée de l'espace, pourrait se refléter dans une autre citation de l'homme de science qu'était Einstein:
"J'affirme que le sentiment religieux cosmique est le motif le plus puissant et le plus noble de la recherche scientifique."
Ce film va chercher ce qu'il y a de mieux dans l'Homme avec la conquête de l'espace, le contact avec une entité extraterrestre supérieure et le concept d'immortalité. Keir Dullea qui joue l'astronaute David Bowman, représentant du genre humain, triomphe même de la technologie maléfique en "tuant" HAL, ce qui montre une opinion positive de l'Homme avec la croyance en sa capacité de triompher de n'importe qu'elle situation lorsqu'elle implique sa survie (à ce propos, la scène de déconnexion de HAL fait référence à celle au début du film où les singes tuent un singe du clan opposé pour assurer leur survie).
En ne rejetant pas la violence comme moyen d'évolution, 2001 est donc réaliste dans son propos tout en étant optimiste et où le progrès technologique va permettre d'atteindre une nouvelle dimension spirituelle.
Ces deux films sont donc une parfaite symbolisation des deux routes divergentes qui pouvaient se tracer dans l'esprit collectif des années 60 et qui restent toujours d'actualité par leur sujet universel.
Deux traitements différents de la SF...
Antagonistes dans leur message final, ces deux films le sont aussi dans leur traitement, l'un faisant preuve d'un second degré tangible qui vire à la satire sociétale, l'autre d'un réalisme exacerbé et d'une grande rigueur scientifique dans l'expression d'une hypothèse mystique.
On a ici deux représentations, deux utilisations, deux traitements différents de la SF et caractéristiques du genre.
Il est certainement plus parlant de faire ressentir les tares de notre société par le biais d'une satire (Paul Verhoeven l'aura bien compris avec RoboCop, Total Recall et Starship Troopers) et a contrario d'exprimer le merveilleux dans un cadre réaliste où l'élément fantastique n'en devient que plus puissant (Rencontres du troisième type, E.T., ou Abyss, par exemple).
Pourtant, loin s'en faut d'en faire une loi générale car de nombreuses œuvres de SF mélangent les formes.
Dans La Planète des Singes, l'un des scénaristes, Michael Wilson, victime du maccarthysme, y est pour beaucoup dans la satire de la société américaine. C'est particulièrement visible lors du "procès" de Taylor face aux dirigeants simiesques. La scène mémorable des champs de plantation où l'on découvre pour la première fois "ce monde de fou" avec des rapports inversés fait directement référence à la traite des noirs.
L'organisation de la société simiesque divisée en castes et tournée vers la religion fait aussi écho à notre propre histoire.
Dans 2001, la participation de scientifiques en font une réussite jamais égalée dans le genre : Les combinaisons, les vaisseaux, les caissons cryogéniques, ... Tout paraît vrai.
Pas de son non plus dans l'espace.
De plus, même si légèrement exagérés, les extérieurs de la Lune sont incroyables de réalisme, un an avant que le premier homme y pose le pied !
D'un strict point de vue formel, l'Odyssée de l'espace est supérieur à La Planète des Singes, par la réalisation de Kubrick qui frôle le trouble obsessionnel compulsif avec un cadre qui colle au plus près de la science et où jamais film de science-fiction n'aura mieux compris le premier constituant de son déterminatif.
Pourtant bien que satirique et caricaturale, La Planète des Singes se réclame sur certains aspects d'une approche scientifique réaliste due à l'ère spatiale, notamment lors du début du film où Schaffner, le réalisateur passe un bon quart d'heure à filmer ses trois astronautes dans un lieu désolé et loin de toute vie, ce qui crée chez le spectateur la sensation d'être vraiment arrivé sur une autre planète.
Toutefois, ces deux œuvres présentent une situation fantastique qui dans La Planète des Singes (même si l'affaire ressemble de prime abord à une blague cosmique) trouve une explication scientifique plausible en se basant sur la théorie de la relativité d'Einstein alors que dans 2001, l'Odyssée de l'espace, l'élément fantastique symbolisé par le monolithe noir (quand bien même on tient en compte qu'il s'agit d'une technologie extraterrestre) ne s'explique pas.
La science-fiction est le refuge des paradoxes !
Les héritiers et conclusions...
S'il ne montrera jamais le visage des extraterrestres (bien que cela fut envisagé à la base), 2001, l'Odyssée de l'espace esquissera les bases cinématographiques d'un fantasme qui trouvera, selon moi, son aboutissement quelques années plus tard avec Rencontres du troisième type de Steven Spielberg (qui prendra Douglas Trumbull pour son film, déjà aux effets spéciaux de 2001) puis E.T., en plus d'influencer d'autres cinéastes brillants comme George, Lucas, Ridley Scott, James Cameron, par exemple.
D'ailleurs, les films de ce dernier sont pour moi ceux qui sont le plus dans la lignée directe de 2001, l'Odyssée de l'espace, avec leur volonté de montrer une science-fiction qui s'appuie sur des bases scientifiques : Aliens, Abyss, Avatar.
Pour en revenir aux extraterrestres, la première fois que j'ai vu 2001, l'Odyssée de l'espace, je fus justement un peu déçu de ne pas en voir plus sur une entité extraterrestre supérieure. Finalement, avec le temps, je me dis que le film fonctionne mieux sans et suggère que cette entité n'est pas forcément biologique mais spirituelle...
Cependant, d'un strict point de vue personnel, La Planète des Singes, reste mon film préféré des deux, car la claque finale qu'il nous inflige est surpuissante : en un seul plan, il apporte une réponse thématique et scientifique ! Il n'existe pas en science-fiction de liaison covalente plus forte, bien que j'accorde au pinailleur que le retour du vaisseau sur Terre plutôt que de continuer vers Orion n'est pas expliqué.
Pour pinailler encore un peu plus, je regrette aussi que La Planète des Singes n'ait pas bénéficié d'un aspect encore plus réaliste et scientifique. Je pense notamment au problème de la langue parlée et écrite par les singes qui est l'anglais et que le personnage de Charlton Heston comprend donc instantanément, ce qui n'est pas très crédible. Pourtant, il fut envisagé dans une autre version du scénario, par un procédé de mise en scène semblable à celui que l'on voit dans le 13e guerrier de McTiernan, que le personnage joué par Charlton Heston apprenne le langage progressivement et que l'on repasserait à l'anglais une fois la langue assimilée.
Le public actuel pourrait reproché à ces deux films d'avoir vieilli, l'un faisant surtout preuve d'une lenteur de gastéropode (ce qui lui était déjà reproché à sa sortie), l'autre accusant le coup visuellement, notamment sur le maquillage des singes (pourtant véritable exploit pour l'époque).
Chez moi, ces deux films suscitent un tel intérêt que j'ai du mal à en voir les défauts et je les considèrent comme les films de chevet de tout amateur de vraie science-fiction.