200 MÈTRES (Ameen Nayfeh, PAL, 2020, 96min) :
« 200 Mètres est mon histoire, celle de milliers de palestiniens, et les histoires peuvent définitivement bouleverser des vies. » confie le jeune réalisateur, né en Palestine. À travers ses souvenirs et d'autres situations vécues par des proches, l'artiste élabore un drame fictionnel pour conter le quotidien d'une famille déchirée par l'irrationelle réalité d'un mur.
Un homme de dos fume sur la terrasse de sa maison, la caméra s'avance et un mur de séparation surgit dans le champ de vision pour scinder le cadre à l'horizontal du village d'en face. En quelques instants de vie, la situation enclavée saute cinématographiquement aux yeux. Mustafa, père de famille aimant, vit avec sa mère en Palestine par conviction identitaire et par manque de papiers administratifs, alors que sa femme et leurs trois gamins doivent rentrer le soir de l'autre côté en Israël pour la scolarité des enfants. Pour contextualiser, ce « mur à la con » (comme il est surnommé dans le film) de huit mètres de hauteur est érigé illégalement depuis 2002 par le gouvernement israélien « par protection », suite à des attaques terroristes lors de la seconde « intifada ». La construction continue malgré l'interdiction internationale et la réprobation virulente de l'ONU ainsi que la condamnation de la Cour internationale de justice de la Haye en juillet 2004.
Cette « clôture de sécurité », Mustafa en attente de permis de travailler sur des chantiers israéliens en a plein le dos. Son corps réagit avec virulence aux divers métiers du passé et aux humiliations psychologiques quotidiennes. Malgré tous ses maux, chaque soir par amour et en guise de « bonne nuit », il montre à ses enfants et à sa femme situés à 200 mètres de distance à vol d'oiseau un peu de lumière dans la nuit. Un père qui ne commet aucune effraction aux inadmissibles règles de liberté de circulation, droit fondamental à tous les êtres humains. Jusqu'au jour où son fils à un accident, et sa dévotion paternelle ne peut faire autrement que le pousser malgré les restrictions à rejoindre sa femme Salwa à l'hôpital au chevet de son garçon, en dépit d'une carte d'identité périmée.
Pour son premier long métrage Ameen Nayfeh, tel un documentariste dévoile par petites touches ce drame social, les multiples tensions et l'impact considérable sur la vie de famille que ce mur a inévitablement engendré. Avant de plonger le spectateur dans un véritable road-movie oppressant, où 200 mètres deviennent une sidérante odyssée de tous les dangers. Car pour franchir clandestinement la frontière, il faut d'abord trouver contre monnaie un passeur honnête, franchir sans encombres les différents « checkpoint », puis éviter les tirs de colons sur le bord de la route (ligne verte d'armistice de 1949 entre Israël et les pays arabes), ne pas être claustrophobe, se méfier des autres, éviter des zones déjà acquisses par des arnaqueurs etc.
La caméra capte à fleur de peau toutes ces émotions entre peurs, mensonges et espoirs, à travers ce périple au suspense savamment dosé. Embarqué avec Mustafa (incarné par le formidable Ali Suliman) et notamment une passagère allemande (impeccable Anna Unterberger) venue tourner un documentaire sur la situation des familles (pertinent miroir de la perception de la Palestine vue par une étrangère), le spectateur découvre sous un nouveau prisme, loin des médias cette chronique étouffante pilotée par l'absurdité de ce mur de l'apartheid. Une aventure semée d'embuches mise en scène avec sobriété et efficacité, sous la forme d'un thriller politique, portée par la quête et l'amour de son personnage principal pour les siens. Quand un cinéaste s'empare du pouvoir du cinéma pour aller au-delà de tous les murs, l'invisible voit le jour de manière poignante, et l'on ne peut que saluer ce nécessaire long métrage d'exister. Intense. Saisissant. Touchant.