Critique croisée avec IN THE FADE
La vengeance est un sujet omniprésent dans le cinéma; mais elle est avant tout un sujet philosophique passionnant. On peut regretter pour autant un certain manque de profondeur dans les questionnements de ces nombreux films. Ce constat est particulièrement vrai ces dernières années. Même Tarantino , grand représentant de la vendetta, s'affranchit de toute problématique de fond. Il en fait un divertissement exutoire (ce qui en soit est déjà un parti-pris). Quelques films contemporains ont su interroger la légitimité ou la nécessité de la vengeance. La vertigineuse aventure de Hugh Glass, THE REVENANT, démontre par exemple le vide qui peut suivre l'accomplissement de la revanche. Il est donc intéressant de questionner et comparer le traitement de ce sujet par deux films sortis à quelques jours d'intervalle. IN THE FADE et 3 BILLBOARDS dressent tous deux le portrait d'une femme déterminée, en lutte dans son deuil, un deuil qui passe par le besoin de réponses et de riposte.
IN THE FADE avait tout d'un potentiel grand film sur le papiers; sujet brûlant, réalisateur d'une grande sincérité et actrice de grand classe.
C'est pourtant à l'écrit que ça pèche. À cause de raccourcis, la construction de l'intrigue est bancale. Certains dialogues sonnent faux dans la rédaction. Mais ce sont surtout les choix dans la conclusion de cette histoire qui sont regrettables. La fin du film appuie clairement sur la nécessité du châtiment en représailles. Elle nous laisse sur une parfaite reconstitution de la Loi du Talion, sans jamais nuancer (ou avec tant de maladresse), ni aborder la possibilité du pardon ou de la reconstruction.
On sent d'avantages d’erreurs dans la manière que dans l'intention. Sans nul doute, Fatih Akin a voulu montrer une femme forte mais perdue dans une situation plus que complexe et donc pétrie de doutes. Cette perplexité s'est retranscrite dans le manque de clarté du scénario.
La réalisation est en revanche saisissante. Tout est réussi dans la mise en scène; direction d'acteurs, photographie, montage, utilisation de la musique...l'ambiance du film est prenante et véritablement au service de son contexte. Les effets accompagnent les situations sans trop souligner le drame, ni l'annoncer.
3 BILLBOARDS est une comédie dramatique extrêmement maîtrisée. Martin McDonagh démontre encore son art de mêler humour noir et excentrique dans une tragédie de fond. En reprenant l'air joyeusement mélancolique de IN BRUGES il nous transporte cette fois dans les profondeurs des États-Unis.
Frances McDormand incarne une femme pétrie d'autant de violence que d'humanité. Elle est entourée de personnages tout aussi sensibles. Peter Dinklage, Woody Harrelson et Sam Rockwell donnent tous beaucoup de complexité et d'intensité à leurs rôles. A l'instar de l'excursion dans la ville belge, on voyage au cœur du Missouri, au plus près de sa population cosmopolite. Les plans de paysages et urbains sont parfois sublimes et le galerie de portraits humains est touchante. Le tout encore soigneusement accompagné par la musique de Carter Burwell.
L'autre force de Martin McDonagh c'est de nous surprendre dans l'écriture et comment elle fait évoluer les personnages et la narration. Toujours très effrénée, l'intrigue déconstruit les stéréotypes pour paradoxalement construire une certaine authenticité dans son récit en le suspendant aux chambardements de la vie. Pour autant cet esprit tumultueux qui caractérise le cinéma de Martin McDonagh est plus contrôlé que dans IN BRUGES et 7 PSYCHOPATHS. Si plus tôt dans sa carrière il aurait pu terminer ce film sur une note dérisoire parfaitement amorale, là il prend soin de répondre à aucune des questions intelligemment posées au long du film.
Comme tout sujet philosophique profond, les multiples interrogations que provoquent la vengeance ne peuvent jamais avoir qu'une et unique vérité. Il est du droit de chacun de défendre sa vision personnelle. Il est très délicat de le faire au sein d'une création artistique.
IN THE FADE et 3 BILLBOARDS ne cherchent pas à défendre une position sur ces problématiques de la vengeance. Ces deux films dépeignent avant tout deux femmes fortes rongées par la violence et démontrent la légitimité de leurs colères. Dans le premier, on nous donne uniquement le point de vu de la protagoniste principale, tandis que le second laisse place aux rôles secondaires qui prennent part à l'histoire de Mildred.
Par son humour et la richesse de ses personnages, Martin McDonagh offre des portes de sorties à son récit; là ou au contraire Fatih Akin nous enferme dans la douleur du personnage de Diane Krüger.
Enfin ce qui est intéressant dans ces deux histoires de vengeance c'est leurs angles d'attaque très contemporains. A l'heure de la libération de la parole, vitale ou abjecte, et de l'explosion de la radicalité, ces films résonnent avec l'actualité. On pourrait aller jusqu'à comparer les panneaux de Mildred à l'effet des tweets #MeToo. Si IN THE FADE dépeint une situation tragiquement réaliste à ce jour, 3 BILLBOARDS va surtout plus loin dans son exposition en mettant toute la société face à ses responsabilités.