La réalisatrice allemande Emily Atef est friande des états extrêmes. Dès son deuxième long-métrage, « L’Etranger en moi » (« Das Fremde in mir »), en 2010, elle ne craignait pas de se pencher sur le cas d’une mère en plein refus de l’enfant qu’elle venait pourtant de porter en elle. En 2012, avec « Tue-moi » (« Töte mich »), elle accompagnait le désespoir d’une adolescente suicidaire qui consentait à protéger un fuyard, contre la promesse qu’il l’aiderait à mourir. Comment s’étonner, dès lors, que la réalisatrice d’origine franco-iranienne ait porté intérêt à Romy Schneider, actrice au destin tragique par excellence et à la personnalité aussi intense qu’écartelée ?


Elle la saisit ici en avril 1981, lors des trois jours, censés être tout entiers régis par l’austérité d’une cure, que l’actrice passa à Quiberon, dans un luxueux centre de thalassothérapie, face à la mer. Fortement ébranlée par son divorce avec Daniel Biasini, en février, et par le désir, manifesté par son fils, David, de vivre auprès de son beau-père, Romy Schneider consent à recevoir à Quiberon deux journalistes du magazine allemand Stern et à leur livrer une interview qui tente de renouer le dialogue avec son pays d’origine.


Le scénario s’appuie sur cet entretien, effectivement paru le 23 avril 1981, sur les photos prises par l’un des deux journalistes, Robert Lebeck (1929-2014), que Romy appréciait tout particulièrement, et sur les échanges actuels qu’Emily Atef a pu avoir avec les différents protagonistes de ces trois jours, à savoir l’autre journaliste interviewer, Michael Jürgs, et l’amie féminine, rebaptisée pour le film Hilde Fritsch.


Véritablement ramenée à la vie par son interprète, Marie Bäumer, Romy Schneider apparaît ici dans toute la complexité de sa personnalité, naviguant - au rythme du ressac, audible jusque dans les chambres - entre états de joie intense et épisodes de détresse profonde (« Je suis une femme malheureuse de quarante-deux ans », lance-t-elle, mi-bravache, mi-sincère, aux journalistes médusés). Dans un noir et blanc à la fois contrasté et délicat, à l’image de la psyché de l’actrice, le directeur de la photographie, Thomas W. Kiennast, recueille aussi bien la houle bretonne que le jeu subtil qui se met en place entre l’actrice et ses pisteurs : Michael Jürgs, très finement interprété par Robert Gwisdek, traque, harcèle, pousse l’icône vivante dans ses retranchements, malgré l’habileté de celle-ci à déjouer les pièges, voire à retourner les questionnements ; témoin gourmand, Robert Lebeck (Charly Hübner), que Romy surnomme « Lebo », recueille fous rires et désarrois au creux de son objectif... Avec beaucoup de sensibilité, Emily Atef montre le caractère indomptable de la star, combien, même brisée, elle reste maîtresse du jeu, dans ses accomplissements comme dans ses dérapages. Avec délicatesse, le film n’ira pas se repaître du naufrage de l’actrice (la mort accidentelle de son fils le 5 juillet de la même année, puis la sienne, le 29 mai 1982) et préfèrera s’arrêter sur une brève scène parisienne de bonheur maternel...


On sait que le film a pu faire polémique, la fille de Romy, Sarah Biasini, et le père de celle-ci s’insurgeant contre les représentations de la disparue en fumeuse, buveuse, et consommatrice de médecines diverses. Mais, outre le fait que les dits « proches » ne sont pas nécessairement les mieux placés pour sonder des abîmes qui pourraient risquer de les engloutir, on sait gré à Emily Atef de peindre ici une star, non pas brillant solitairement au firmament de son Panthéon minéral, mais éminemment humaine, jusque dans des failles qui ne la rendent que plus attachante. Des failles, aussi, qui permettent d’entrevoir une vie infiniment dense, bouillonnante, qui n’aurait demandé qu’à perdurer, semble-t-il, même au cœur de l’inhabitable.

AnneSchneider
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le 19 juin 2018

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Anne Schneider

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