3H10 pour Yuma est un ersatz embrouillé et déséquilibré du film Collatéral (2002), de Michael Mann, qui rapproche deux protagonistes foncièrement différents, sur un même trajet intimiste. Le premier, Dan Evans (Christian Bale), un héros de guerre (pas si héroïque que ça finalement) reconverti en honnête cow-boy (au sens premier du temps, gardien de vaches dans les plaines américaines), et père de famille aimant mais sous pression. Le deuxième, Ben Wade (Russell Crowe), est un bandit insensible (en fait, si, car il dessine), recherché avec sa bande dans de nombreux Etats, accusé des pires crimes et vols perpétrés dans le Far West.
Ben Wade, vilain hyper méchant, qui ne sert égoïstement que ses propres intérêts et qui n'hésite pas à tuer ses propres camarades, doit être emmené à la gare pour prendre le train qui le conduira en prison, escorté par Dan Evans et une bande de majorettes, alors qu'une telle besogne aurait nécessité un régiment de l'administration pénitentiaire à la hauteur de ses méfaits, soit le 8° régiment de Cavalerie évoqué une fois, puis oublié.
Pourquoi Dan Evans, qui subit un assaut du Shérif et de ses sbires en scène d'ouverture dans le but de mettre le feu sa grange pour cause d'un non remboursement de dettes, se joint-il à ce road movie ? Car il compte bien toucher les 200 $ que lui promet le représentant de la compagnie ferroviaire chargé de son rapatriement jusqu'à la prison, mais aussi pour prouver à son fils qu'il est homme d'honneur. Ce que l'on sait depuis le début du film puisqu'il n'hésite pas à tenir tête aux bandits, au Shérif sensé protéger son peuple mais qui brûle des granges à tout va, tout en jouant la carte de la discrétion pour ne pas porter malheur à sa famille déjà en mauvaise posture, et il explique également comment il a été héros de guerre.
3h10 pour Yuma est un Western en demi-teinte, aussi ambivalent que ses personnages. Après une première partie de 45 minutes prometteuse et convaincante, reprenant de manière respectable les codes du Western standard, le film se perd dans un non-sens de réactions ubuesques à des situations qui ne devraient pas avoir lieu si le récit était cohérent.
Je ne vois pas d'autres moyens que de détailler une liste de prises de position irrationnelles et incohérentes pour étayer mon propos, de manière chronologique :


1- Stupidité ou acte de génie ? Besoin scénaristique plutôt.
Ben Wade est présenté comme le Al Capone du Far West, sans pitié, ingénieux, charismatique, intelligent, et pourtant, il se fait capturer dans un saloon comme un bleu. L'assaut de la diligence lourdement défendue en première partie incite particulièrement sur le fait que ben Wade est consciencieux et organisé. Alors comment se fait-il qu'après son casse, le bandit se retrouve dans le saloon de la ville la plus proche, attendant les autorités compétentes après avoir séduit, sans grande difficulté pour un voyou, la barmaid ? Son arrestation est si facile, invraisemblable et si vite venue que jusqu'à la fin, sa capture qui semblait être délibérée, ne l'est finalement pas. Ou plutôt, jamais il n'en sera question : Ben Wade s'est laissé capturer. Le méchant méticuleux et adroit s'est bel et bien fait avoir par personne d'autre que lui-même. L'ambiguïté sur son arrestation, anticipée ou non (comptait-il faire un casse depuis l'intérieur même ?), ne sera jamais évoquée, ce qui marque un premier et flagrant manque de cohérence dans le récit.


2- Les yeux couleur menthe à l'eau
Ben Wade le répètera sans arrêt durant la première heure du film, puis n'y fera plus jamais mention, il aime les femmes aux yeux verts. Un désir qui tourne à l'obsession, puisqu'il le chante à qui veut entendre, pour finalement ne pas être si important que cela puisque la femme avec laquelle il couchera aura les yeux noirs mais "ce n'est pas grave.". Quel intérêt alors d'insister sur cette fascination si cela n'apporte rien au récit ? Si ce n'est une tension présente pendant tout le film, et qui, encore une fois, ira se perdre dans l'oubli général : la femme de Dan Evans a les yeux verts. Lors du face à face entre le malfrat et la femme du cowboy, celle-ci semble charmée par ce gentlemen cambrioleur, tout en en étant répulsée. Ben Wade y fera référence à multiples reprises, il ira même jusqu'à dire qu'il s'occuperait mieux d'elle que son mari. Et si l'on pouvait suggérer que Ben Wade allait s'échapper pour retrouver la femme de son gardien, il n'en sera rien. Jamais nous ne reverrons Alice Evans, et jamais la fascination de Ben Wade pour les yeux verts servira le récit, si ce n'est donné un semblant de personnalité au bandit.


3-Trop bon trop con
Alors que le convoi s'arrête dans un premier temps à la ferme des Evans, le fidel acolyte de Ben Wade, Prince, surveille depuis une colline à deux-cents mètres tout au plus. Il est seul, en face, ils sont au moins 5. Quelle bande d'idiots laisse ce truand espionner sans même se cacher ? Tout le monde le voit, personne ne dégaine, personne ne le prend en chasse. Même Dan Evans n'y porte guère attention alors que dorénavant, les malfrats savent où se trouve sa famille. Mais l'acolyte de Ben Wade tombe dans le panneau et croit au subterfuge : un leurre est envoyé dans la mauvaise direction, en diligence, alors que le vrai convoi continuera à cheval. Plutôt que de se donner tout ce mal, pour finalement pas grand chose, une charge à 5 sur l'espion que tout le monde voit aurait mit fin aux péripéties et au film.
Voilà le vrai problème du film, si les protagonistes agissaient de manière sensée, alors il n'y aurait pas de film, où bien celui-ci durerait 25 minutes. Lorsque Prince, attaque la diligence, gardée par seulement deux hommes, le garde à l'intérieur, normalement un bon tireur pour un cowboy embusqué, rate un tir sur une cible venant dans sa direction, à 1m50 tout au plus. Puis il se laisse maitriser en tournant le dos à sa cible, avant de mourir par le feu en croyant que son ravisseur allait tenir sa parole. Invraisemblable, mais si cette scène répondait à la logique, alors Prince serait mort, et le film terminé.


4-5 gringos pour 1 hors-la-loi
Pour conduire le dangereux bandit à 130 kilomètres de là, à la gare, son escorte de mercenaires de carrière et assermentés, n'est en fait composé que de cinq citoyens. Comment peuvent-ils prétendre être en capacité de justifier de leur propre sécurité lorsque le vétérinaire du coin devient l'un des piliers du convoi ? Dan Evans est certes un tireur d'élite, mais il a un pied-beau, Butterfield est riche mais incapable de se protéger lui-même, McElroy est le cowboy le plus à même de mener à bien cette mission, mais il semble très bien se porter après s'être fait tirer dans l'estomac à bout portant, et le bras droit du shérif, Tucker, ne passera pas la première nuit, quelle surprise !


5-Décisions stupides
Je vais accélérer et condenser ici toutes les décisions et situations absurdes, non venues et aberrantes qui rythment le film, bien que je risque d'en oublier. Premièrement, dans une maison de prolétaires qui survivent à peine de leur travail fermier, personne ne se rend compte qu'il manque une fourchette après le dîner ? Fourchette que Ben Wade a bien entendu subtilisée et avec laquelle il assassine la première nuit, son convoyeur le plus malveillant. Autrement dit, personne ne l'a fouillé en quittant la ferme, et personne n'est capable de correctement l'attacher pour la nuit.
Ensuite, en pleine balade à cheval, Ben Wade réussit l'exploit de se libérer de sa selle sur laquelle il devrait être attaché si les personnages étaient intelligents, pour ensuite jeter dans le vide l'un de ses ravisseurs. Mais ce n'est pas pour autant que les trois citoyens restant vont apprendre de leurs erreurs, au contraire, car Ben Wade arrive à se sauver en pleine fusillade, tout en prenant soin de tuer les indiens qui s'en prennent à ses gardes. Puis Dan Evans sauve la vie du bandit, capturé par un gringo qui le reconnait, au prix de la vie du vétérinaire, mort pour que ce malade mental aille en prison.
Déjà, le récit se perd dans une incohérence de relations et de décisions sans le moindre sens, dans une seconde partie de film totalement absurde mais sérieuse.
Il faut admettre que le film démarrait plutôt bien, avec des personnages intéressants et particuliers. Mais ce qui faisait sa richesse dans la première heure, en fait sa pauvreté dans la seconde car, emmêlé dans son intention de créer un écho entre le méchant et le gentil, plus rien n'a de sens. Se sauvant la vie mutuellement, puis se tirant dans les pattes, comment les scénaristes peuvent ils espérer nous faire ressentir la moindre empathie, le moindre intérêt pour ces personnages aussi volatils que décousus ?
Le réalisme, ou la cohérence, est d'autant plus abandonnée par les scénaristes qu'une fois arrivés à l'hôtel, les gentils ont les sept vilains mercenaires à portée de tir. Que fait l'autorité compétente ? Rien, si ce n'est attendre que les vilains recrutent la ville, aux yeux de tous, sous la fenêtre de leur retranchement ! Je ne prétend pas être un expert dans le domaine, mais à raison de 75% de chance de succès (même si, dans la présente conjoncture, personne ne peut rater un tir à 2 m de distance sur une cible immobile), si les 5 tireurs tiraient dans le tas, la moitié des ravisseurs tomberaient sous les balles. En aucun cas, un Shérif est effrayé par une bande de 7 misérables, qui plus est dans sa propre ville, alors qu'ils ont et la puissance de feu, et la hauteur, et toutes les raisons de tirer pour se défendre. Mais le Shérif préfère rendre les armes. Cette décision prouve non seulement que les scénaristes sont incompétents dans leur manière de concevoir une épopée tangible, mais surtout qu'ils sont bloqués car ils ignorent comment concevoir un récit avec des péripéties et des personnages logiques. Savoir où l'on souhaite emmener une histoire est une chose, mais avoir recourt à des développement de personnage grâce à des décisions illogiques, en contradiction complète avec le caractère préalablement installé d'un personnage, pour conduire le récit à un situation précise, c'est autant faire preuve d'un dépôt de bilan scénaristique que prendre le public pour des idiots.

Le clou du spectacle reste quand même la fusillade finale, aussi aberrante que grotesque, où Dan Evans et son nouveau BFF survivent à un affrontement contre trente cowboys recrutés par le bras droit de Ben Wade. Les deux héros amis/ennemis reçoivent chacun une balle dans le dos, mais ils ne semblent pas en souffrir. Mais malgré la complexité de la situation (qui, en réalité, ne devrait pas l'être car s'ils étaient un tant soit peu intelligents, les convoyeurs auraient ouvert le feu sur leurs ravisseurs lorsqu'ils en avaient la possibilité, c'est à dire 5 minutes plus tôt), Dan Evans et Ben Wade arrivent au train, et Ben Wade monte de son plein gré dans la prison du wagon. Pourquoi ? Pour que Monsieur Evans redevienne un héros aux yeux de son fils. Au prix de la vie d'une vingtaine d'hommes, y comprit la sienne, puisque Prince, le bras droit du méchant, certainement le personnage le plus cohérent, tue Dan Evans. Ben Wade ressort de prison (que fait le Shérif dans le train ? " Vas-y mon pote, sors, règle tes problèmes et reviens.") pour tuer Prince, avant de retourner en prison délibérément. A ce moment précis, plus rien ne peut nous étonner. Si ce n'est la neige. La fusillade finale est d'un non sens absolu, aussi insensé que la neige qui recouvre la voie de chemin de fer alors que la pluie manque depuis des mois dans la région.


3h10 pour Yuma est une sorte de Marvel avant l'heure, voulant raconter une histoire dans le but d'arriver à une conclusion, tout en négligeant complètement la cohérence. Comme la série LOST, beaucoup d'éléments viennent étoffer le récit, mais ne servent qu'à complexifié pour complexifié, initier des situations qui n'auront pas lieu, une tautologie sans raison d'être.
Russell Crowe et Christian Bale ne sortent pas de leur zone de confort dans ce western qui commençait si bien, mais comment prendre au sérieux un film lorsque le grand méchant, qui a déjà dézingué deux gardes, peut parler librement à ses confrères sans que personne ne l'assomme ? Il serait temps d'arrêter de nous (les spectateurs qui payent pour aller au cinéma ou acheter le film) prendre pour des cons et faire preuve de cohérence, si ce n'est de créativité, pour continuer de nous attirer au cinéma.


(Marvel, tu peux te sentir viser, car les drones-tueurs de Spiderman Far From Home, où sont-ils dans No Way Home ? Ah oui, s'ils étaient présents, alors il n'y aurait pas de film ... )

VictorPar
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le 17 janv. 2022

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